Promis, juré ! Au lendemain de la crise Covid, nous allions moins voyager. Un vœu pieux… Les habitudes sont revenues au galop. En 2023, le chiffre d'affaires mondial du tourisme a quasiment rattrapé son niveau de 2019. Même tendance dans le voyage d'affaires, qui prévoit de peser en Europe 414 milliards de dollars en 2025, contre 391 milliards en 2019. Toutes les enquêtes vont dans le même sens : on va davantage se déplacer dans les années à venir. Les experts du climat s'en alarment. Pourtant, les raisons d'espérer ne manquent pas.

En France, selon le Haut Conseil pour le climat (HCC), le secteur des transports, premier émetteur de gaz à effet de serre (GES), entame sa trajectoire de décarbonation avec une baisse estimée de 3,4 % des émissions entre 2022 et 2023. L'électrification du parc automobile y est pour beaucoup. La montée en puissance de l'intelligence artificielle aussi. Son potentiel est énorme, encore mal évalué tant les cas d'usage, dont nous développons ici quelques exemples, sont nombreux et souvent insoupçonnés. Les sceptiques diront que l'IA, avant d'être vertueuse, va commencer par augmenter notre bilan carbone. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les centres de données ont en effet consommé dans le monde et en 2022 plus d'électricité que n'en a produit la France. À quoi Vincent Champain, président de l'Observatoire du Long Terme, a répondu assez justement dans une chronique : « Il en a été de même pour d'autres innovations : une carte routière consomme moins d'énergie qu'un GPS, mais si le GPS réduit la durée d'un trajet automobile de 0,01 %, son impact net est positif. » CQFD.

LOGISTIQUE

Les algorithmes ont pris le volant

Transporteur routier, un métier de gros bras ? Non, de grosses têtes ! Les algorithmes se sont emparés du volant avec cette promesse : réduire l'empreinte carbone du secteur en calculant au mieux les chargements et les itinéraires. « La priorité est désormais moins de trouver la livraison la plus rapide que celle qui sera la plus verte », confirme Yann Desloire, directeur commercial de PTV Logistics France, filiale d'un des leaders mondiaux des solutions d'optimisation des transports. Il y a urgence : les poids lourds sont à l'origine de 7,3 % des émissions de CO2 en France, les utilitaires légers, de 4,3 %. Et, contrairement aux voitures dont l'électrification avance rapidement, les camions ne pourront pas, à cause de leur poids, être équipés de batteries avant longtemps.

Heureusement, l'IA est montée à bord et s'empare du sujet. Elle seule, grâce à sa puissance de calcul, peut malaxer des milliers d'infos aussi différentes que les adresses à livrer, les prévisions de trafic, les conditions météorologiques du moment et celles à venir, le mode de conduite du chauffeur, les fermetures de voies, l'altitude, la nature et le volume du chargement, les caractéristiques du camion (modèle, âge, entretien), les travaux… Raffinement supplémentaire, l'IA peut détecter, en rapprochant des cohortes de fichiers, les erreurs dans les adresses et les rectifier pour éviter nombre de trajets inutiles.

Pour chaque livraison sont ainsi moulinées des milliards de combinaisons différentes dans lesquelles les transporteurs n'ont plus qu'à choisir la meilleure. En bas de colonne, au moins 15 % de CO2 économisé. « Humainement, de tels calculs seraient impossibles », confirme un industriel. Certaines préconisations faites par l'IA sont même déroutantes, voire contre-intuitives. Par exemple, révèle Yann Desloire, « nous avons pu prouver à un client qu'il avait intérêt, sur sa cinquantaine de tournées quotidiennes, à faire deux départs à vide. À rebours de ce que l'on apprend dans les métiers de la logistique ». Cela optimise toute la tournée et fait économiser l'équivalent d'un camion par jour. Une promo entière de polytechniciens aurait-elle permis d'obtenir un tel résultat ? Pas sûr.

L'IA ne gère pas seulement le bout de la chaîne logistique, elle entre en jeu dès les premiers maillons, lors de la conception des produits. Illustration avec le français Adore Me, pionnier de la vente de lingerie en ligne, racheté récemment par Victoria's Secret. Il a remplacé les poussifs tableaux Excel par des algorithmes de compétition. Résultat : des informations très vite exploitables et des prévisions de ventes infiniment plus précises. La marque a pu gagner trois mois sur les neuf qui séparent le dessin d'un vêtement de sa mise en vente. Ce qui a permis, pour le transport, de remplacer l'avion par le bateau. À la clé, une forte réduction des émissions de CO2. Et de grosses économies… Pour faire venir d'Asie un article standard par les airs, comptez un euro. Par la mer, dix centimes seulement.

Magie de l'IA générative encore, avec cette innovation signée Adore Me : les clients achètent un T-shirt ou un soutien-gorge blanc et le personnalisent à leur guise. Il suffit de rentrer un message décrivant leur souhait. Par exemple : « J'aime l'écologie positive ». La machine puise alors son inspiration dans un stock colossal de datas et propose une illustration en quelques minutes. Si celle-ci ne convient pas, elle en propose d'autres. Ensuite, impression dans les 24 heures, livraison avant cinq jours. « D'un point de vue logistique, c'est une révolution », s'enthousiasme le dirigeant et cofondateur de la start-up, Romain Liot. Fini le processus classique « on conçoit, on fabrique, on transporte, on vend ». Place à « le client conçoit, on vend, on fabrique ». Beaucoup moins de stock, moins de transport et une impression sur place qui demande 10 cl d'eau par article contre 9,3 litres en moyenne pour une teinturerie classique en Asie. Seul défaut, le procédé est pour l'heure réservé au marché américain…

TRANSPORT MARITIME

La métamorphose du routage

« Nous sommes le Waze du transport maritime », résume tranquillement Yves de Montcheuil, l'un des cinq cofondateurs de Syroco. Ainsi énoncée, l'activité de cette start-up marseillaise paraît simple. Or, en coulisses, des algorithmes d'une extrême complexité sont à l'œuvre pour exploiter des montagnes de datas. Le but : fournir aux navires de commerce et aux paquebots de croisière le meilleur routage météo et une optimisation idéale des voyages. Pour chacun de ses clients, Syroco conçoit un jumeau numérique de ses bateaux. Il s'agit d'une reproduction extrêmement fidèle que la start-up va faire naviguer virtuellement dans toutes les conditions possibles. Courants, hauteur de vagues, houle, vents, chargement, densité du trafic, caractéristiques du bateau, historique de navigation… Les prévisions météo sont fournies par le leader mondial de la spécialité, l'américain Spire, qui possède sa propre constellation de satellites – une centaine – et qui sollicite lui-même l'IA à grande échelle. Au total, des millions de possibilités sont testées grâce à des simulations de mécanique des fluides. « Aucun cerveau ne pourrait traiter une telle somme d'hypothèses, se réjouit Yves de Montcheuil. Cela dépasse l'entendement de l'humain. » Quelques minutes suffisent pour donner au commandant du navire l'information précieuse qu'il attend : quelle puissance moteur pour quelle vitesse sur quel cap ? L'objectif suprême étant d'arriver à l'heure en consommant le moins possible.

Car – et cela peut surprendre le terrien – l'homme de mer doit être de plus en plus ponctuel. Les cargos et les porte-conteneurs sont attendus à leur arrivée par un pilote qui prend en charge leur entrée dans le port. Leur « créneau d'atterrissage » est planifié au quart d'heure près. Même après quinze jours de navigation. Le stress est identique à bord des paquebots de croisière : les bus d'excursion ne peuvent pas attendre, les nouveaux passagers non plus, pas plus que ceux qui débarquent et ont un vol à prendre. Dès lors, pour ne pas rater le rendez-vous et payer de lourdes pénalités, les équipages ont pris l'habitude de foncer d'abord puis de lever le pied à mesure que la destination se rapproche. Quitte à arriver en avance et à faire des ronds dans l'eau avant d'être pris en charge. Un gouffre énergétique. C'est là que l'innovation de Syroco et de ses concurrents, comme le danois ZeroNorth, entre en jeu. Elle permet de lisser la vitesse tout au long du périple. À la clé, 10 à 15 % de fuel économisé. Sortons la calculette. Un bateau de 150 mètres reliant l'Europe au golfe du Mexique consomme en moyenne 350 tonnes de carburant durant sa traversée de quinze jours. Soit plus de 50 tonnes épargnées. À 800 euros la tonne de fuel, et sachant qu'une tonne consommée rejette 3,2 tonnes de GES, l'IA de Syroco (environ 50 000 euros par an et par bateau) est vite amortie. Une douzaine d'armateurs, dont Total et CMA CGM, ont déjà signé.

Le transporteur marseillais, déjà actionnaire de la licorne française Mistral AI, a d'ailleurs engagé un partenariat d'envergure avec Google pour intégrer encore plus l'IA dans ses activités. Cela concerne la logistique en général, la manutention des conteneurs, mais aussi l'optimisation des itinéraires dans toutes les circonstances.

L'IA révèle en effet son utilité également dans les coups durs. L'hiver dernier, par exemple, un cargo qui remontait des Açores vers la Norvège a dû affronter une monstrueuse tempête. Pas d'autre solution que de mettre à la cape, c'est-à-dire rester face au vent à la force des gros diesel. Mais en moulinant les centaines de milliers d'informations à disposition, une parade que nul commandant n'aurait pu imaginer, fût-il le plus chevronné, a été trouvée : localiser un passage moins agité entre l'Irlande et l'Angleterre ; faire attendre le bateau à l'abri des côtes. Le bateau est enfin arrivé à bon port, bien secoué, mais avec seulement six heures de retard. Au lieu des deux jours prévus au pire de la tempête. Beaucoup de carburant économisé et de casse évitée.

SUR LA ROUTE

La voiture qui fait tout mieux que nous

Amoureux du volant, tremblez ! La voiture autonome fait déjà (presque) tout mieux que vous. Plus sûre : une vaste enquête menée par l'assureur Swiss Re et Waymo, spécialiste de la voiture autonome et filiale d'Alphabet, portant sur 6,1 millions de kilomètres parcourus à travers San Francisco et Phoenix, montre qu'elle réduit « la fréquence des sinistres liés aux dommages matériels de 76 % ». Plus rapide : elle identifie le trajet idéal sans détour ni embouteillage, trouve plus facilement une place pour stationner. Et surtout, plus verte : sa conduite est coulée, pas d'accélération ou de coup de frein inutiles, avec des parcours optimisés pour réduire la consommation.

Une étude de l'université Bar-Ilan de Tel Aviv a révélé qu'en remplaçant 5 % des véhicules par des modèles autonomes, on améliorerait la fluidité du trafic de 20 %. Qu'attend-on alors pour libérer sur nos routes ces voitures idéales ? Pas si vite ! Technologiquement, on n'est pas loin de pouvoir le faire. Mais psychologiquement et réglementairement, ça bloque. Aux États-Unis, plusieurs accidents spectaculaires ont mis le véhicule autonome sur la sellette. Fin avril, à Abou Dhabi, la première course de monoplaces dirigés par la seule IA a même viré au fiasco grotesque : sorties de route, tête-à-queue, dépassements ratés… Après des années d'euphorie, le soufflé est donc un peu retombé. Au dernier Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, en janvier 2024, la voiture autonome était reléguée au fond des stands. On parle ici de l'autonomie intégrale de niveau 5, qui définit un véhicule en interaction totale avec son environnement, sans volant ni pédales. Contrairement au niveau 4, actuellement en test sur les routes californiennes, avec lequel le conducteur peut reprendre la main à tout moment. « Après des années de hype, on redescend sur terre et on devient réaliste, explique Alexandre Marian, associé et directeur général chez AlixPartners, géant mondial du conseil. Après une date de lancement incertaine, la diffusion de l'autonomie sera rapide mais, à cause de sa complexité et de son coût, passera d'abord par les taxis et les bus, avant la voiture individuelle. »

Le discours est identique chez de nombreux constructeurs, comme Renault qui a profité du tournoi de Roland-Garros pour faire une démonstration assez bluffante de sa navette sans chauffeur avec les composants du Master électrique, fruit d'un partenariat avec le chinois WeRide. Même son de cloche chez les constructeurs et exploitants de routes. Vinci, par exemple, travaille en Île-de-France sur une ligne de bus connectés sur l'autoroute A10, entre le pôle multimodal de Longvilliers et la gare de Massy-Palaiseau. Soit 28 kilomètres en grande partie insérés dans le flux de circulation, à la vitesse maximale de 90 km/h. Une prouesse technologique et une première mondiale, pour laquelle Vinci espère obtenir les homologations dès 2026. L'objectif est clair : convaincre les milliers d'automobilistes qui « commutent » chaque jour en zone périurbaine d'abandonner leur quatre-roues. Le marché est jugé énorme, avec 100 à 500 services de ce type qui pourraient être déployés d'ici à 2030 dans l'Hexagone. Le groupe Vinci a un autre ambitieux projet de computer vision, c'est-à-dire de l'IA appliquée à l'analyse d'images, au sein de Cyclope.ai. « On lui apprend à distinguer et à analyser rapidement des détails qui échappent à l'œil humain », résume Richard Bertoli, directeur général de Cyclope.ai. Nombre et types de véhicules, heures de passage, vitesse moyenne, voies les plus utilisées, nombre de passagers… La masse d'informations recueillies permettra aux collectivités de faire des choix éclairés en faveur de la décarbonation : inverser le sens de circulation d'une voie entre le matin et le soir est-il pertinent ? Quelle vitesse préconiser pour fluidifier la circulation ? Faut-il réserver des voies au covoiturage de manière permanente ou seulement à certaines heures ? À propos de covoiturage, l'IA va se révéler un précieux allié pour débusquer les tricheurs : elle pourra détecter les petits malins qui veulent faire croire à la présence d'un passager en installant une peluche ou des vêtements sur le siège passager…

Un autre gros dossier de computer vision est expérimenté, toujours en Île-de-France, par Stellantis et Vinci dans le tunnel du Duplex A86, entre Rueil-Malmaison et Vélizy. « Nous réutilisons les caméras de surveillance existantes pour détecter en quelques millisecondes le moindre incident, explique Moroine Laoufi, directeur des projets de véhicules connectés chez Vinci Autoroutes. Avec les niveaux de latence et de précision exigés par les véhicules autonomes. » Un objet qui traîne sur la chaussée, un piéton qui erre, un choc, un ralentissement brusque… Les informations sont retransmises aux véhicules roulant derrière, même loin. Tout l'art des experts en IA est d'entraîner les caméras à éviter les fausses alertes, à discerner le vrai problème de celui qui ne mérite pas de sonner le branle-bas de combat. Ces travaux anticipent l'arrivée des voitures autonomes. Sans attendre, Vinci en escompte une diminution des accidents mais aussi des freinages violents et des embouteillages, autant de facteurs de surconsommation et d'émission de GES inutiles.

SUR LES RAILS

Des gains de rapidité, de confort, de sécurité

« Vouloir éliminer de manière radicale la voiture est une illusion, avertit lucidement Lucile Ramackers, spécialiste de la mobilité verte chez Capgemini. Le meilleur moyen de décarboner est de convaincre de plus en plus d'automobilistes de passer aux transports en commun, ne serait-ce qu'une ou deux fois par semaine. » Dans ce combat, l'IA se retrouve en première ligne. Elle permettra de désarmer les nombreuses critiques faites au train et au métro : retards, affluence, inconfort, incivilités, délinquance. En haut de la pyramide rayonnera le train autonome, sans conducteur. Techniquement, rien n'empêchera son avènement. Mais, dans notre pays tout au moins, il ressemble à un chiffon rouge pour les syndicats. Prudemment, la SNCF préfère donc communiquer sur les progrès décisifs que les capteurs embarqués à bord des trains apporteront pour aider les agents, non pour les remplacer. Dotés d'une bien meilleure vision que les humains, ils pourront réagir rapidement aux obstacles, même la nuit ou dans le brouillard. Particulièrement utiles face à l'irruption de gibier qui reste l'une des causes principales des incidents. Ils repéreront aussi les défauts d'entretien sur les voies ou la végétation envahissante à leurs abords. La maintenance prédictive devrait permettre de diminuer les coûts d'exploitation de plus de 20 %. La fréquence des trains pourra être augmentée.

Ce n'est pas tout. Pour grignoter des parts de marché face à la voiture, l'IA va offrir des applications très concrètes et surprenantes. Par exemple, pour combattre le fléau des bagages abandonnés, source de très nombreux retards. Les caméras dûment entraînées pourront évaluer si une valise a été simplement oubliée ou si elle a été intentionnellement laissée là. Par quelle sorcellerie ? Elles analyseront la distance qui la sépare des passagers situés autour et les comportements de ceux-ci. L'IA ira fouiller aussi dans les images captées dans les minutes qui ont précédé pour tenter de retrouver le propriétaire et de passer au crible son attitude. Globalement, l'IA permettra d'exploiter efficacement les images relayées par les caméras de surveillance. Aujourd'hui, il y en a trop, impossible pour les agents de toutes les scruter. Demain, elles seront interprétées par la machine qui donnera automatiquement l'alerte. Que ce soit en cas d'accident, de chute sur la voie, de bousculade, d'incivilité ou d'agression. L'IA indiquera aussi dans quel bus vous pourrez trouver une place assise. Ou quel TGV réserver pour être sûr d'avoir son siège préféré : étage du bas, duo, couloir, dans le sens de la marche, dans une rame située près de la sortie à l'arrivée, etc. Toutes ces améliorations pourraient progressivement faire basculer des voyageurs vers le mode de transport considéré à ce jour comme le plus écolo.

DANS LES AIRS

Des cockpits encore plus intelligents

Ils sont jolis, ces sillages laissés par les avions comme des panaches blancs dans le ciel bleu azuréen. Malheureusement, ils sont aussi les ennemis du climat. De leur petit nom cirrus homogenitus, ces traînées de condensation, issues de la rencontre entre le kérosène et l'air, peuvent contribuer grandement à l'effet de serre quand elles sont persistantes et sous certaines conditions d'humidité dans l'atmosphère. Parfois presque autant que le CO2 émis par les réacteurs. C'est dire combien l'enjeu est de taille et mobilise nombre de bureaux de recherche dans le monde. À commencer par ceux du français Thales, un des leaders mondiaux du numérique, de la connectivité et de la cybersécurité. « La formation des traînées de condensation dépend des conditions de vol, d'altitude, de température, de pression, et surtout d'humidité atmosphérique, explique David Sadek, vice-président recherche, technologie et innovation chez Thales. Pour les éviter, l'IA pourra proposer des plans de vol différents, qui se traduiront notamment par des changements d'altitude requérant potentiellement un accroissement de la consommation de 5 %, mais permettront de diminuer de 50 % la production de traînées. » Le compte est bon.

Cette entrée fracassante de l'IA dans les cockpits fait partie d'un vaste programme engagé par tous les grands acteurs de l'aéronautique pour réduire les émissions de CO2. Il y a urgence : le secteur devra atteindre la neutralité carbone en 2050. Des ruptures technologiques, comme la motorisation électrique, sont certes annoncées. Mais en attendant, il faut favoriser toutes les innovations allant vers plus de frugalité. L'optimisation du séquencement des avions en approche est l'une d'elles. Aujourd'hui, pour des raisons de sécurité, la distance minimale entre deux avions sur le point d'atterrir est de 2,5 miles. L'IA pourrait gérer cet espace d'une manière dynamique et le réduire à 2 miles. Pour un profane, ce gain n'a rien de spectaculaire. « Or il l'est ! affirme David Sadek. Il devrait améliorer grandement la gestion des approches ainsi que la capacité de la piste, et réduire le nombre des avions qui tournent et brûlent du kérosène en attendant de pouvoir se poser. »

Dans le même esprit, les labos de recherche planchent sur la phase de descente des avions. Aujourd'hui, elle se fait par paliers. C'est-à-dire que les appareils volent dans des couloirs. Ils en quittent un pour descendre dans celui du dessous, et ainsi de suite jusqu'à l'approche des pistes. Cette perte d'altitude lente et progressive commence au moins vingt minutes avant l'atterrissage. Or elle entraîne une forte surconsommation car, à chaque palier, il faut accélérer puis décélérer. L'objectif est donc, grâce à l'IA, de permettre au contrôle aérien de suivre les appareils sur des trajectoires en pente et non plus seulement à l'horizontale dans des couloirs. Le simple fait de lisser ainsi les approches ferait économiser des milliers de tonnes de kérosène.

Mises bout à bout, ces innovations, et d'autres encore bientôt opérationnelles, devraient permettre d'obtenir une baisse de 50 % des émissions de CO2 en 2030 par rapport à 2018. Elles montrent aussi que l'IA devient plus efficace pour définir une trajectoire qu'un pilote ou qu'un contrôleur aérien. En embuscade, on imagine bien sûr l'avion autonome, capable de faire gagner gros en sobriété, comme la voiture sans conducteur. Ce serait un big-bang que de nombreux experts ne veulent même pas envisager. « Psychologiquement, ça ne passera pas, affirme l'un d'eux. Vous-même, accepteriez-vous de monter dans un Paris-New York avec un cockpit vide ? » Pas sûr, en effet. Pourtant Airbus, évoquant les progrès fulgurants de l'IA, réfléchit déjà discrètement à la possibilité de passer de trois à deux officiers sur les long-courriers et de deux à un sur les court-courriers. Des premiers tests pourraient être réalisés sur des avions-cargos… Face à une telle éventualité, les syndicats ont sorti la hache de guerre. L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), sans laquelle rien ne peut évidemment se faire, est très prudente. Et les compagnies aériennes ? Elles se frottent les mains et anticipent des économies considérables, en salaires, en kérosène et en CO2. Y a-t-il un pilote dans l'avion ? Ce sera bientôt une bonne question. ■

L'IA a permis de changer le mode de transport des produits

Des véhicules connectés, capables d'optimiser leurs parcours

Avec la computer vision, l'IA distingue et analyse des choses que l'œil humain ne voit pas