Le Festival international de mode, de photographie et d'accessoires présente chaque année, à Hyères, les projets des futurs directeurs artistiques. Cet événement qui se tient en octobre à la villa Noailles est un bon observatoire des nouvelles pratiques des designers de demain, lesquels font de l'écoconception de plus en plus un passage obligé. Plaçant la matière et la fonctionnalité au centre de leurs travaux, ils recourent instinctivement au recyclage et aux stocks dormants ; certains fabriquent même leurs propres matériaux. La styliste française Lora Sonney, récemment remarquée pour une collection capsule de la marque AZ Factory, est la finaliste de l'édition 2022 du Festival pour un projet original et extrêmement visuel. À partir de tuyaux d'arrosage de récupération chauffés et moulés, elle a créé un tissu bluffant dans son apparence et au toucher, à la croisée du recyclage et de la R&D. Avec « Resurrectio », le gagnant du prix de la collection écoresponsable Mercedes-Benz, l'Allemand Valentin Lessner, incarne pour sa part une autre tendance, celle de la redécouverte des matières naturelles (lin, laine), conjuguant ainsi création et sobriété.
Des matières performantes devenues écoresponsables
Les premières traductions de cette nouvelle voie écoresponsable sont visibles sur le marché. Autrefois motivé par la seule performance, le secteur du sport se distingue comme acteur moteur de l'innovation. Il intègre de plus en plus de références recyclées : citons les leggings et brassières de la marque Circle, qui le sont à 65 %, ou le polyester recyclé des polaires de Lagoped.
Pressées de trouver des alternatives au coton tout en appliquant des techniques de lavage plus écocompatibles, certaines marques dans le secteur du denim incorporent de leur côté des viscoses obtenues à partir de cellulose du bois. Elles se rapprochent alors de sociétés spécialisées en biotechnologie, comme Lenzing, à l'origine d'une fibre Lyocell fabriquée à partir de bois durable entrant dans la composition d'un denim « zéro coton ».
Afin de parfaire la traçabilité des produits, le salon Première Vision, acteur clé de la filière textile qui réunit les fabricants de tissus, a inventé une signalétique extrêmement précise sous forme de petites étiquettes informatives. Les marqueurs de performance « respirant », « déperlant » côtoient ceux de l'écoresponsabilité, « recyclé », « organique », « finition à faible impact chimique », « biopolymères » ou « sans eau ».
Différentes solutions sont ainsi proposées par les fournisseurs que le salon réunit deux fois dans la saison. Une attention particulière est d'abord portée à l'agriculture dite régénérative. L'idée, dans le contexte d'une surconsommation de coton, est d'explorer les possibilités de fibres végétales locales (laine, lin, chanvre) et peu gourmandes en eau. Une autre voie met l'accent sur la circularité et le recyclage de nos déchets. La filière réutilise ceux de sa production, qui sont retransformés en fil. Elle valorise aussi les déchets de l'agroalimentaire. Le secteur du bien-être (yoga, pilates) privilégie ces matériaux proches de la nature. Les biopolymères, qui intègrent des ressources naturelles renouvelables, apparaissent sur les étiquettes des brassières et combinaisons. Ces mélanges représentent aussi des alternatives séduisantes pour réduire la part du pétrole dans la composition des synthétiques. On trouve aujourd'hui des polyesters et polyamides obtenus à partir de mélanges à base d'amidon de maïs, d'huile de ricin, de canne à sucre, de pomme ou encore de bambou, et plus particulièrement de charcoal, un charbon de bambou.
L'engagement du luxe
Le secteur du luxe s'intéresse de plus en plus aux matériaux innovants. Le groupe LVMH a ainsi fait savoir dans son rapport RSE de 2022 que 100 % des nouveaux produits s'inscriraient d'ici à 2030 dans une démarche d'écoconception avec certification de la préservation des écosystèmes et des ressources en eau. L'idée est d'opérer une transition vers un « luxe régénératif » en construisant une « circularité créative ».
En collaboration avec le Central Saint Martins College of Art and Design de Londres (institution qui possède déjà ses laboratoires de recherche et formations autour des biomatériaux), un incubateur de la création et de l'innovation durable baptisé Maison/0 a vu le jour en 2021. Véritable laboratoire autour des biotechnologies, il montre au fil de ses travaux toutes les possibilités de la chimie verte.
Des prix comme le Green Trail et les This Earth Awards récompensent chaque année les meilleurs projets de fin d'études. « Je pense notamment aux travaux de Charlotte Werth, récompensée par le Green Trail », précise Alexandre Capelli, directeur adjoint de l'environnement chez LVMH. « Elle travaille sur des teintures obtenues à partir de bactéries et a conçu une machine permettant d'automatiser ce procédé ne nécessitant aucun produit chimique. Mais on pourrait aussi citer le BioSequin, sans plastique, élaboré par Elissa Brunato, gagnante du prix en 2019, qui a séduit les équipes de Stella McCartney et a été mise à l'honneur en une du » Vogue « américain, en mars 2023, à travers une combinaison entièrement rebordée, portée par la comédienne Cara Delevingne. »
Une publication de 2022, intitulée « Rewilding Textiles », synthétise toutes les approches générées par le groupe en matière de coloration textile obtenue à partir de ces bactéries, d'algues, de déchets.
Science et création, combo gagnant
Une nouvelle génération de designers à l'intersection du design et des sciences est en train d'émerger. Leur popularité devient plus grande puisque Jen Keane, gagnante de l'édition 2018 du Green Trail pour l'invention d'une matière cellulosique à partir de bactéries, faisait récemment l'objet d'un portrait dans le magazine de référence Fashion United, sous le titre de « mère du tissage microbien ». « Sans que tous deviennent des experts scientifiques formés aux matériaux innovants, il est certain que les créatifs vont monter en compétence sur ces biotechs », reconnaît Alexandre Capelli. « On peut imaginer une circulation des savoirs à double sens : des créatifs se rapprochant de sociétés extérieures et des scientifiques se nourrissant de pratiques et sujets créatifs. Ces approches se retrouvent déjà au sein des studios. »
Le maître-mot de cette nouvelle ère pourrait être l'hybridation : celle de nouveaux matériaux plus proches de la nature, souvent utilisés en culture ou en mélange, mais également l'hybridation des compétences, les sciences au service de la mode transformant en profondeur les ressorts même de la création.