C'est devenu une évidence : de plus en plus de villes affichent des records de chaleur sur la planète. C'était le cas à la fin du printemps dans les grandes métropoles indiennes ou américaines, au Pakistan et en Chine ; comme cet été à Palerme ou à Athènes, tandis que l'on découvrait, les années précédentes, les dômes de chaleur (des anticyclones qui s'immobilisent, provoquant des canicules) à Paris, Mexico ou Tampa (Floride). Les conséquences ne sont pas seulement problématiques pour l'environnement, elles touchent directement la santé des citadins.

Les températures bloquées à 49 °C sur New Delhi ont provoqué en juin dernier près de 200 morts, selon les autorités. L'Asie est particulièrement touchée. Mais l'Europe n'échappe pas à ces phénomènes. Nos villes ne sont plus adaptées aux effets directs du réchauffement. Il faut les repenser. Fait accablant, sans appel, le cumul des hausses de température, des pollutions et de la concentration de béton conduit à une vraie bombe à retardement. L'artificialisation des sols urbains provoque des effets de réchauffement chroniques de l'air, ce qu'on appelle des îlots de chaleur. Les surfaces sombres (goudron, toitures), la pierre et le béton concentrent la chaleur qui persiste la nuit. Résultat : de longues périodes de canicule qui fatiguent les organismes et une multiplication des climatisations réchauffant encore plus l'air des villes.

Les solutions existent et sont parfaitement connues, même si pas toujours faciles à réaliser. Il faut débitumer, débétonner, favoriser l'infiltration de l'eau dans les sols pour irriguer la végétation, alimenter les nappes phréatiques, éviter l'engorgement des stations d'épuration lors des gros orages. Il faut ensuite ramener plus de verdure en ville. Pas pour faire joli mais pour rafraîchir.

Ces constats sont partagés par de nombreuses études : la végétation en ville est bénéfique à tout point de vue. En journée, les arbres et les arbustes, notamment grâce à leur faculté d'évapotranspiration, projettent des gouttelettes dans l'air (jusqu'à l'équivalent de 1 000 litres d'eau pour un grand chêne), permettant ainsi de réduire localement la température de 3 à 5 °C. Leur présence crée des îlots de fraîcheur dans un rayon de 100 mètres. Les rues adjacentes en profitent avec une réduction de 1 °C. Un arbre adulte peut aussi absorber en un an jusqu'à 20 kg de particules fines normalement présentes dans l'air. Évidemment, comme dans les forêts, la végétation capte le CO2 pour rejeter de l'oxygène, grâce à la photosynthèse. Des atouts non négligeables pour la santé, en matière de confort thermique, visuel et sonore, mais aussi pour lutter contre le réchauffement climatique.

En France, les grandes villes s'attaquent fermement au sujet. À Paris, l'une des capitales les plus densément peuplées du monde (plus de 20 000 hab./km²), on s'en inquiète depuis presque vingt ans (voir p. 92). Signe que les politiques urbaines s'intensifient, le palmarès des villes les plus vertes de France, stable dans ses trois premières éditions, a dévoilé un classement 2023 chahuté. Angers reste en tête, mais Rennes, Strasbourg ou Paris signent des percées spectaculaires. Nantes, déjà à la pointe, a lancé un « plan pleine terre » afin de « retirer un maximum de bitume pour gagner un maximum de mètres carrés de pleine terre et végétaliser », explique Delphine Bonamy, adjointe au maire en charge de la nature en ville. Comme partout, l'objectif est de lutter contre l'artificialisation des sols pour assurer leur perméabilité. « Le cycle de l'eau est l'enjeu fondamental » pour Michel Audouy, paysagiste et enseignant à l'École nationale supérieure de paysage. La ressource en eau est une condition essentielle au pouvoir rafraîchissant de la végétation urbaine. Sans eau, pas d'évapotranspiration ! Et tout cela se mesure très sérieusement. Des indices et des coefficients de canopée (la couverture végétale assurant de l'ombrage), de confort thermique ou de pleine terre sont partout mis en place pour évaluer les résultats des politiques d'aménagement et les adapter si nécessaire.

Apaiser, rafraîchir mais aussi en profiter pour produire de la nourriture dans les métropoles, l'enjeu n'est rien d'autre que l'attractivité des villes de demain. Partout sur la planète, la mutation est en marche. Heureusement, car elle est indispensable. Voici quelques exemples remarquables.

L'exemple parisien

Paris fait partie de ces villes surpeuplées et très minérales confrontées aux îlots de chaleur. La politique très active de la municipalité a nettement porté ses fruits. La capitale française, reine mondiale des embouteillages et visage de la canicule urbaine, transforme effectivement son paysage. Souvent couplée à la création de pistes cyclables ou à la piétonnisation de rues avec école, la végétalisation, à différents niveaux (arbres, arbustes, strates basses de végétaux ligneux ou herbacés) et selon les capacités de chaque espace, a permis depuis vingt ans de créer 150 hectares d'espaces verts ouverts au public (sur un total de 1 883). La ville se fixe un objectif de 300 hectares supplémentaires d'ici à 2040 pour atteindre le niveau de 10 m² de verdure par habitant, contre 8,6 m² à l'heure actuelle. Tous les leviers sont actionnés : création de parcs sur d'anciennes friches industrielles, ouverture d'espaces verts existants (comme ceux des hôpitaux toute l'année ou des cours d'école en période de vacances et le week-end), etc. « Débitumisation… Partout où l'on peut, on végétalise » : c'est le mot d'ordre, par exemple, dans le 10ᵉ arrondissement, quartier le plus dense (28 000 hab./km²), où des continuités de jardinières, des alignements d'arbres ou de plantes grimpantes créent « un maillage végétalisé en parallèle d'un réseau cyclable complet », souligne-t-on à la Mairie. Là où le réseau d'eau de la ville n'est pas présent, des jardinières au sol avec arrosage automatique sont installées. Le test de l'été 2024 : que ce maillage crée des couloirs d'aération assez continus et longs pour rafraîchir l'atmosphère.

C'est l'accumulation de petites opérations de verdissement – souvent avec un volet participatif, les riverains étant appelés à donner leur avis et à agir – qui transforme progressivement la cité. Mais aussi quelques gestes plus spectaculaires, comme la création de forêts urbaines. Sur la place de Catalogne, conçue dans les années 1980 par l'architecte Ricardo Bofill dans un style épuré 100 % minéral, on peut découvrir le seul projet abouti de forêt urbaine à Paris. Près de 500 arbres (chênes, frênes, érables ou merisiers), dont une large part sont adultes, ont été plantés sur la moitié de la place, avec un espace en forme de clairière ouvert aux promeneurs. L'autre moitié est laissée à la circulation automobile. Bien plus spectaculaire encore, le nouveau bois de Charonne doit voir le jour en lisière de l'ancienne Petite Ceinture, dans le 20ᵉ arrondissement, avec à la clé la plantation de 2 000 arbres sur 3,5 hectares. Il faudra attendre quelques années pour constater la durabilité de ces initiatives.

Singapour, la ville jardin

Singapour est sans doute l'endroit au monde le plus à la pointe en matière d'espaces verts en ville. Le projet pharaonique « Gardens by the Bay » est devenu en un temps record l'un des emblèmes de cette cité-État hyper-urbanisée – sa densité de population rivalise avec celle de Monaco –, mais à la végétation luxuriante puisque environ 50 % du territoire est occupé par des espaces verts. À l'image de la ville, c'est monumental : sur une centaine d'hectares, 18 « Supertrees », structures métalliques de 25 à 50 mètres de haut recouvertes de végétation, qui couvrent et assurent l'ombrage d'un jardin botanique abritant d'immenses serres et des dizaines de milliers d'espèces rares ; ainsi qu'une montagne artificielle recouverte d'arbres et de plantes d'altitude. Lancé en 2006 et ouvert au public en 2012, le projet est critiqué pour son coût d'entretien, même s'il permet à Singapour d'attirer de très nombreux visiteurs et de les sensibiliser à la nature sauvage.

![Singapour a érigé 18 « Supertrees » de 25 à 50 mètres de haut. © Marc Chaumeil/Divergence]

Milan, le choix du vertical

On retrouve la même démesure, mais à une beaucoup plus petite échelle, dans un projet immobilier inauguré en 2014 dans le nouveau quartier d'affaires de la Porta Nuova, à Milan. Pensé comme une forêt verticale (d'où le nom de la réalisation, « Bosco Verticale »), ce complexe composé de deux tours paysagères de 76 et 110 mètres a été écoconçu par l'architecte italien Stefano Boeri avec la collaboration d'horticulteurs et de botanistes. Plantés de 20 000 arbres, arbustes et vivaces répartis sur toutes les façades à différents niveaux, ces immeubles de reforestation ambitionnent d'augmenter la biodiversité et de contribuer à la régulation d'un microclimat en ville.

New York, les fermes-toitures

Le mouvement actuel pour un retour de la nature en ville a été marqué par la création à New York, en 2010, de la Brooklyn Grange, plus grande ferme urbaine sur toiture du monde. Initialement installés au-dessus d'un building de neuf étages dans le quartier de Brooklyn, les champs de légumes et de plantes aromatiques s'étalent désormais sur 2 hectares répartis sur trois sites (également dans le Queens et à Long Island). Des paysages hyper-urbains qui contrastent avec les étendues de fanes de radis, de salades ou de poireaux, les poules pondeuses ici et là, les ruches à miel, etc. Au final, le projet pionnier de fermes urbaines a abouti à la production annuelle de près de 50 tonnes de végétaux comestibles bio. Autant dire pas grand-chose à l'échelle de la ville. Les ventes sont limitées aux épiceries et restaurants locaux et aux visiteurs. Mais cela reste, selon les fondateurs, un geste écologique fort pour « reconnecter les citadins à la nature et contribuer à la biodiversité ». L'exploitation est rentable, assurent-ils, même si les coûts d'irrigation sont très élevés : le sol s'assèche vite sur un toit battu par les vents et exposé en été à un soleil brûlant. Le concept a néanmoins fait de nombreux émules à travers le monde, principalement dans les grandes villes nord-américaines, en Europe et en Asie. L'apparition de ces jardins potagers en milieu urbain joue aussi un rôle éducatif et pédagogique auprès de différents publics (étudiants, enfants).

![Verdir mais aussi nourrir, c'est le pari des fermes urbaines de Brooklyn Grange, à New York. © Brooklyn Grange]

Les champs de Copenhague

Copenhague associe l'idée de reverdir l'espace urbain avec celle de rapprocher la production végétale du centre-ville. Elle abrite une version high-tech de ferme citadine qui embarque avec elle le mythe de la ville autoalimentée : la plus grande exploitation agricole verticale d'Europe, dans la zone portuaire industrielle de la capitale danoise. Si le projet développé par la start-up Nordic Harvest est loin de faire l'unanimité, il permet d'imaginer ce que pourrait être une production agricole automatisée avec de fortes contraintes urbaines et une rareté des ressources en terre et en eau : des lignes de végétaux éclairées 24 h/24 et installées dans des casiers métalliques de 10 mètres de long, répartis sur 14 niveaux, avec des ramassages robotisés… Peu d'emprise au sol et 15 récoltes par an (tous les 25 jours) pour une production de 1 000 tonnes de salades et d'herbes aromatiques, soit 5 % de la demande au Danemark – dont les deux tiers sont importés. Les coûts de fonctionnement (électricité et main-d'œuvre qualifiée pour piloter les robots) limitent encore la portée du concept, même si de nombreuses villes se lancent dans l'aventure (Singapour et aux États-Unis).

Les millions d'arbres de Riyad

À une autre échelle et avec des enjeux encore plus vitaux pour elle, Riyad s'est lancée depuis cinq ans dans un vaste programme de verdissement, « Green Riyadh », dont l'objectif est la plantation de 7,5 millions d'arbres d'ici à 2030 pour améliorer la qualité de l'air et faire baisser le thermomètre de 2 °C. À ce jour, huit quartiers de la capitale saoudienne ont été transformés par la création de parcs et la végétalisation des écoles, mosquées, rues. Là aussi, le temps dira si l'investissement a porté ses fruits.

![À Riyad, on plante des millions d'arbres, surtout des acacias, une essence qui résiste bien au climat aride. © Saudi Green Initiative]

Les corridors de Medellín

Dans les villes où la densité urbaine atteint des sommets et où l'air devient vite irrespirable en été, ce sont les politiques qui se sont emparés du problème. Comme à Medellín où, à 1 500 mètres d'altitude, la création de corridors arborés et reliés aux espaces verts existants aurait permis de faire reculer la température moyenne de 2 °C et d'améliorer la qualité de l'air. Depuis 2016, les autorités de la deuxième ville colombienne transforment ainsi à marche forcée les quartiers les plus défavorisés pour les faire revivre, ce qui doit par la même occasion se traduire par un accroissement de la biodiversité.

« Il faut répondre au besoin de nature en ville »

Henri Bava préside la Fédération française du paysage (FFP). Selon lui, on peut concilier l'augmentation du nombre de citadins avec la nécessité de verdir les villes pour lutter contre le réchauffement climatique.

![Henri Bava, paysagiste, diplômé en biologie végétale et président de la FFP. © Agence Ter]

Comment remettre du « végétal » dans les projets urbains ?

Pour les paysagistes, ce qui fait d'abord le liant entre toutes les échelles d'un territoire et donc d'un projet, c'est la terre. Avant même de considérer le végétal, la première chose sur laquelle investiguer est l'état du terrain, la quantité de terre et sa qualité – si elle a été polluée, etc. Les choix végétaux viennent après ; ils en dépendent.

Le verdissement des villes est-il une tendance nouvelle ?

Non. Depuis les premières images par satellite de notre planète vue dans son intégralité – dès les années 1970 –, nous avons pris conscience que la Terre est certes magnifique, mais qu'elle est un écosystème fini. Gilles Clément avait marqué les esprits en 1992 avec son concept de « jardin planétaire » : la Terre perçue comme un jardin « arpentable » nous enseignait que toute action, à un endroit de la planète, a des répercussions ailleurs. Nous sommes dans un jardin fermé, un système clos. Tout ce qu'on imaginait comme extensions infinies de nos activités humaines est, depuis, regardé par rapport à cette finitude. Cela nous renforce dans l'idée qu'il faut penser la ville par son sol, qui doit être vivant, ouvert.

Faut-il restaurer plus de biodiversité en ville ?

Nous l'avons vu avec la réapparition du besoin de nature en ville durant les confinements : la biodiversité enchante la vie en ville. Notre système urbain s'étend de plus en plus, et le nombre d'habitants des villes augmente : pourtant, le défi est en même temps d'en augmenter la biodiversité, afin d'agir sur le changement climatique. C'est une équation assez difficile mais réalisable, autour de laquelle toute conception urbaine doit désormais tourner.

Faut-il repenser radicalement certains espaces urbains ?

Oui, et de nombreuses villes sont confrontées à des choix radicaux. À Barcelone, la municipalité a fait le choix, pour sa place emblématique des Gloires-Catalanes, d'enterrer toutes les voiries, en l'occurrence un ancien échangeur autoroutier, pour finalement créer non pas une place mais un parc. Ils ont appelé cela le changement de paradigme. L'échangeur très minéral a fait place à un sol planté avec une canopée urbaine. Différentes strates de végétation ont été installées, dans une trame d'espaces publics ponctuée d'îlots protégés, interdits aux humains, pour permettre aux écosystèmes de se développer et à la faune de circuler. Chaque ville reste un cas particulier. À Paris, la structure urbaine n'est pas la même qu'en Allemagne où des corridors d'air frais traversent les villes. Ils sont même consignés dans les plans d'urbanisme ! Paris, on y étouffe en été. La capitale se trouve au fond d'un bassin et il n'y a jamais eu de plan de circulation de l'air. Seule la Seine fait office de corridor principal. Il faut donc lutter fortement contre les îlots de chaleur.

Les arbres sont-ils la clé de la réussite pour verdir la ville ?

Ils sont la trace durable du végétal en ville. Comme l'avait déjà intégré à la fin du XIXᵉ siècle un urbaniste comme Adolphe Alphand, à l'origine des premiers espaces verts parisiens, le système d'arbres plantés peut structurer la ville. Mais il ne suffit pas d'en planter ponctuellement. Il faut repenser tout le socle urbain aujourd'hui stérilisé, minéralisé et ne pas simplement le perforer par endroits, mais le transformer en sol vivant, le plus étendu possible. Un sol vivant qui conduit finalement à remplacer l'infrastructure actuelle des réseaux enterrés des eaux pluviales en les déconnectant, afin d'infiltrer sur site et de favoriser l'évapotranspiration, la fraîcheur.