En quelques années, l'IA s'est immiscée dans les moindres recoins de l'activité économique et de nos vies personnelles. Santé, alimentation, loisirs, mais aussi transports ou agriculture (voir p. 58 et 64)… Par la magie de l'IA générative, du data mining ou du machine learning, plus rien ou presque n'échappe à cette intelligence. Pour le meilleur ou pour le pire ? « Nous avons laissé le génie sortir de la bouteille », alertait un expert de l'Onu le 30 mai dernier, lors du sommet mondial AI for Good.

Menace ou bénédiction

Sorte d'avatar futuriste de Frankenstein, la créature est-elle une menace ou, au contraire, une bénédiction pour l'humanité ? Si la nécessité de garde-fous est évidente, contre les fake news notamment, l'IA a montré le bénéfice que nos sociétés pouvaient en tirer, en particulier pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris sur le climat. Comment ?

L'IA est un allié précieux pour la surveillance des espèces en péril et des atteintes à l'environnement, l'amélioration des prévisions climatiques ou les programmes de lutte contre le gaspillage des ressources naturelles. Elle contribue aussi à l'invention de la green city de demain. L'un des pères de l'IA, le chercheur Yann Le Cun, planche par exemple, au sein de Meta, sur le sujet clé du stockage de l'énergie photovoltaïque sous forme d'hydrogène ou de méthane.

Dans la sphère économique, « nous avons basculé dans un monde d'une extrême imprévisibilité, avec de grands bouleversements notamment dans l'agriculture et l'énergie », analyse Dimitri Carbonnelle, expert en innovation et en stratégie RSE. « L'IA va aider les entreprises à mieux anticiper les impacts du changement climatique et à sélectionner les actions les plus pertinentes ».

Acier et béton bas carbone, production d'hydrogène par plasmalyse (processus de dissociation sans oxygène), voiture et avion autonomes, réduction de la consommation électrique des grands industriels, recyclage des déchets, finance verte… L'IA joue déjà un rôle important dans la décarbonation de l'industrie.

L'obligation d'une « green IA »

Son déploiement tous azimuts se heurte néanmoins à plusieurs obstacles. Ses data centers (centres de données) sont très énergivores, ingurgitent des milliards de mètres cubes d'eau pour leur refroidissement et affichent un bilan carbone désastreux.

D'où l'obligation de voir émerger une « green IA », économe en énergie, en ressources et en émissions de CO2. « Il y a urgence », avertissait Cédric Villani, dès 2018, dans un rapport1 remis au gouvernement. Passionné par le sujet, le célèbre mathématicien, qui rêve de voir la France et l'Europe devenir « le fer de lance de cette transition écologique intelligente », décèle un autre péril : que des responsables politiques et économiques succombent à l'illusion que l'IA serait non un outil parmi d'autres mais LA solution miracle contre le réchauffement de la planète. ■

IMPACTS

Objectif : devenir plus sobre

Tel Janus, l'IA aurait-elle deux visages ? Côté face, elle apporte ses bienfaits à nos sociétés confrontées à de redoutables défis, à commencer par le changement climatique. Côté pile, elle s'avère très gourmande en ressources (silicium, terres rares), en eau et en électricité, tant dans la phase d'entraînement de ses outils que pour leur utilisation.

En mai dernier à Paris, au salon VivaTech où l'on ne jure que par l'IA, Christophe Béchu, alors ministre de la Transition écologique, a jeté un froid. « Au niveau mondial », a-t-il lancé, « l'IA pourrait consommer autant que l'Argentine ou la Suède. » Plus tard, il enfoncera le clou : « Une conversation avec une IA générative consomme un litre d'eau. »

Google a englouti 28 milliards de litres d'eau en 2022 pour refroidir ses data centers (+ 82 % depuis 2018). Plus largement, tous les centres de données brûlent aussi des milliards de kilowattheures. Normal : une requête sur ChatGPT consomme dix fois plus d'électricité que sur Google. « Poser une question simple à une IA générative, c'est comme couper son pain avec une scie électrique », ironisait le président de l'Ademe, Sylvain Waserman, auditionné le 5 juin au Sénat.

Au rythme actuel, l'essor de l'IA va non seulement faire exploser la facture d'électricité de l'industrie numérique mais aussi plomber son bilan carbone. Dans son dernier rapport annuel, Microsoft a reconnu que ses émissions de CO2 avaient bondi de 29 % depuis 2020, principalement du fait de l'IA.

« Google a déjà dû arrêter des serveurs parce qu'il faisait trop chaud et, en termes de consommation d'énergie, l'IA va se retrouver en compétition avec d'autres usages comme les voitures électriques et l'hydrogène vert », anticipe Dimitri Carbonnelle, expert en innovations et auteur en 2022 chez Librinova de 2050, crash ou renaissance ?.

Les géants de la tech cherchent donc à mettre au point des data centers moins énergivores, alimentés par des énergies vertes ou, comme l'envisage Microsoft, des microréacteurs nucléaires. Attention toutefois à « l'effet rebond », prévient l'expert, la multiplication des connexions contrebalançant la baisse de la consommation d'énergie.

Dernier obstacle, l'IA a un besoin croissant de microprocesseurs GPU ultra-performants. Or, « il y a une limite hardware entre la demande et la capacité de l'industrie à y répondre », estime Dimitri Carbonnelle. En attendant, les ventes de Nvidia, le fournisseur de puces intelligentes qui contrôle à lui seul 80 % du marché, s'envolent. Ainsi que son cours à Wall Street où le groupe s'est hissé en juin au deuxième rang des sociétés cotées les plus chères du monde, derrière Microsoft.

MÉTÉO-CLIMAT

La révolution prédictive

L'IA peut-elle aider les scientifiques à mieux cerner la menace climatique ? C'est le but de l'équipe de chercheurs mise sur pied à Paris, au sein de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), autour de l'Américaine Claire Monteleoni, pionnière de l'informatique climatique.

L'idée ? Recourir à l'IA pour affiner les modèles climatiques en analysant mieux et en un temps record des milliards de données issues des simulations du Giec, des stations météo, des satellites d'observation de la Terre, des carottes glaciaires (échantillons de glace), etc. De quoi faire un bond considérable dans le perfectionnement des modèles.

Concrètement, le groupe de Claire Monteleoni, baptisé « Arches » (pour AI Research for Climate Change and Environmental Sustainability), assure être en mesure de mieux prévoir la trajectoire des ouragans, phénomènes capricieux particulièrement difficiles à prédire. Car, en plus des modèles climatiques, l'IA révolutionne aussi les prévisions météo.

« Depuis trois ou quatre ans, nous utilisons l'IA un peu partout dans la chaîne globale de prévision météorologique », confirme Vincent-Henri Peuch, directeur de l'observatoire européen Copernicus. « Elle remplace des parties de modèle numérique qui coûtent cher en temps de calcul. »

Le mouvement s'est accéléré avec le lancement de FourCastNet par Nvidia, le géant américain des puces dédiées à l'IA, qui, sur ce marché des prévisions météo, a devancé de peu Google et Huawei. Reposant sur le machine learning, « ces modèles sont nettement meilleurs aujourd'hui que les anciens basés uniquement sur les équations de la physique », reconnaît Vincent-Henri Peuch.

Voilà pourquoi Météo-France, qui utilise déjà l'IA pour analyser notamment les observations par satellite de la Terre, planche avec le CNRS sur un nouveau prototype de modèle de prévisions, qui devrait être finalisé en 2025.

BIODIVERSITÉ

Au service des écosystèmes

Au large du Var, le parc national de Port-Cros a déployé une solution high-tech pour surveiller ses rivages et ses fonds marins. Développé par BSB Marine, société spécialisée dans l'aide à la navigation, le système Eyesea repère immédiatement les bateaux ou les plongeurs ayant pénétré dans une zone interdite et alerte les équipes d'intervention.

Soutenu par la Région et Bpifrance, le projet, qui associe des dispositifs de surveillance couplés à une IA, dépasse les frontières du parc. En effet, Port-Cros sert de territoire pilote pour le test grandeur nature d'une innovation destinée à la sauvegarde des aires marines protégées d'autres mers du globe.

Plus généralement, alors que se tiendra en juin 2025 à Nice la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan (Unoc), l'Agence nationale de la recherche a, dès 2022, lancé le challenge « IA-Biodiv », un programme scientifique international inédit, qui s'appuie sur l'IA, de recherche et d'étude de la biodiversité marine.

Sur d'autres terrains, l'ONG Rainforest Connection a recours à l'IA pour repérer la déforestation, et le traitement d'images sert à recenser les éléphants d'Afrique ou les manchots de l'Antarctique. Enfin, BeeOdiversity, fondée en 2012 par un chercheur de l'université de Liège, analyse, via une IA, le pollen prélevé par les abeilles pour détecter les pollutions et la dégradation de la biodiversité. Ces exemples prouvent que l'IA va permettre de mieux comprendre et de mieux défendre notre patrimoine naturel.

GESTION DE L'EAU

Plan antifuites

Quel est le point commun entre Tarbes, Metz et Lisieux ? Ces trois communes font partie des 170 points noirs en France où plus d'un litre d'eau sur deux se perd dans les fuites de canalisations vieillissantes. Alors que le pays subit des sécheresses à répétition, lutter contre cet immense gaspillage est l'une des priorités du « plan eau » annoncé en mars 2023 par le président de la République.

Pour relever le défi, les géants français de la ressource misent désormais sur l'IA. « Il n'est plus acceptable de perdre un litre sur cinq en moyenne dans les réseaux de distribution d'eau », confirme Grégory Denis, en charge de l'IA au sein de Saur.

Grâce à l'analyse des données de 180 000 kilomètres de conduits, de l'historique des interventions passées et des observations satellite, « notre algorithme est capable d'identifier les 10 % de canalisations responsables d'un tiers des fuites », explique-t-il. « Sur le terrain, cela permet aux techniciens de diviser par deux leur zone de recherche lors de la prélocalisation d'une fuite, ce qui représente un gain de temps considérable et des mètres cubes d'eau sauvés ».

Autre intérêt de l'algorithme, « il nous indique les canalisations à renouveler en priorité », ajoute le chief data officer de Saur. L'IA est aussi utilisée pour faire de la maintenance prédictive et localiser les canalisations menacées, en cas de forte pluie, par le débordement des nappes phréatiques ou le retrait-gonflement des argiles.

Enfin, l'IA peut répondre à la demande globale en incitant à aller vers plus de sobriété. « Nous générons pour nos clients des observations des consommations d'eau sur leur territoire afin de permettre notamment aux collectivités locales d'adapter leurs campagnes de sensibilisation aux profils de consommation des habitants, qui sont très différents selon, par exemple, qu'ils sont en résidence principale ou secondaire. »

Dans les Pyrénées-Orientales, département très touché par les sécheresses, la start-up ImaGeau, issue du CNRS de Montpellier et désormais filiale de Saur, utilise l'IA prédictive pour prévoir plusieurs jours à l'avance les pénuries d'eau à partir du niveau des nappes, des rivières et des prévisions météo. « En cas de sécheresse », conclut Grégory Denis, « nous pouvons aider les préfets à bâtir leur plan de restriction d'eau. »

DÉCHETS

Les centres de tri du XXIe siècle

Aucun geste de notre vie quotidienne n'échappera demain à l'IA. C'est déjà le cas dans le domaine des ordures ménagères avec l'apparition de poubelles intelligentes. Ficha, une start-up grenobloise, a mis au point une puce qui permet, via une appli, de savoir si l'on a bien trié ses déchets. Suez lui a emboîté le pas avec un système destiné à améliorer la collecte publique des ordures.

À l'étape suivante, celle de la gestion du tri, l'IA intervient également. Et c'est tant mieux car au moins 4,5 millions de tonnes de déchets inondent chaque année les centres de tri français. Des montagnes de carton, de papier, de plastique, d'emballages alimentaires, dont beaucoup sont valorisables et pourraient, une fois recyclés, retrouver une seconde vie. Encore faut-il repérer ces pépites dans la masse. Pas évident avec du tri mécanique, électromagnétique ou, au mieux, optique. Leaders du secteur, Veolia et Suez ont donc développé sur des sites pilotes des outils aujourd'hui opérationnels, baptisés Portik pour le premier et Autodiag chez le second.

Le principe : des caméras intelligentes placées au-dessus des convoyeurs de tri sont reliées à des algorithmes qui identifient en temps réel les déchets irrécupérables et ceux recyclables. Mieux, les systèmes de computer vision sont capables d'évaluer la qualité de ces déchets pour orienter directement les produits vers la bonne filière de recyclage. L'IA sert ainsi d'accélérateur à l'économie circulaire.

INDUSTRIE

Des algorithmes à l'usine

L'industrie pèse près de 20 % des émissions françaises de gaz à effet de serre et les trois cinquièmes proviennent des 50 sites pétroliers, chimiques, métallurgiques ou du BTP les plus émetteurs de CO2. Fin 2023, les grands groupes concernés se sont engagés à réduire de 45 % leurs émissions d'ici à 2030.

Parmi eux, ArcelorMittal mise sur le deep learning, le big data et les « jumeaux numériques » (représentation virtuelle des objets et des systèmes à partir du traitement des données en temps réel) pour concevoir des aciers plus résistants, réutilisables, sobres en énergie et à l'empreinte carbone réduite. Des matériaux destinés notamment aux véhicules électriques.

Dans plusieurs des usines de Saint-Gobain, l'IA, l'internet des objets et les jumeaux numériques devraient permettre de baisser de 10 % la consommation électrique de la fabrication des vitrages ou des plaques de plâtre. Après la robotique ou l'impression en 3D, l'IA a également fait son entrée dans les usines de Solvay, acteur majeur de la chimie implanté dans une soixantaine de pays et qui a investi en 2019 dans NobleAI, un développeur de logiciels californien, pour accélérer sa révolution digitale. Mais Solvay a aussi amélioré ses process industriels grâce à de l'IA, tout comme il a automatisé et dématérialisé ses services de commande jusqu'au paiement (order-to-cash) grâce à une plateforme de cloud intelligente.

Enfin, des groupes comme le cimentier Lafarge ou Tereos, le deuxième sucrier mondial, ont fait appel à des algorithmes pour optimiser la gestion de leurs stocks, des commandes et leur chaîne d'approvisionnement afin, en particulier, de diminuer le nombre de camions sur les routes (voir aussi p. 59).

MODE

Se repenser vertueuse

Souvenez-vous du métavers et des NFT, ces nouveaux médias dont on vantait tout l'intérêt marketing, souvent sans se soucier des conséquences environnementales. Effets de mode, même si certains acteurs du secteur continuent à en explorer les contours. En est-il de même pour l'IA ? Si l'univers de l'habillement l'a d'abord utilisée dans la communication visuelle – la marque Valentino avait demandé à l'artiste Mario Klingemann de réaliser une vidéo du making-of de sa collection haute couture printemps-été 2021 –, l'IA y a aujourd'hui atteint une certaine maturité. Son usage offre des bénéfices non négligeables dans la réduction de l'empreinte carbone, de la création jusqu'au recyclage en passant par la distribution.

Les équipes se forment et les data scientists font désormais partie des organigrammes. Le luxe s'y est intéressé au premier chef. Le Comité Colbert, association qui regroupe 95 acteurs de ce secteur, présente en cette rentrée les résultats de l'étude « La révolution discrète », menée conjointement avec le cabinet de conseil Bain & Compagny (et disponible sur leur site) : « L'IA est un sujet important pour les maisons de luxe », confirme Bénédicte Épinay, déléguée générale du Comité Colbert. « On observe que l'IA analytique, souvent au service de l'optimisation des opérations et des RH, et l'IA générative, testée de manière plus ciblée dans des champs très spécifiques tels que la création de contenus, sont considérées comme des atouts. Des disparités subsistent dans l'adoption selon la stratégie, la taille et les ressources disponibles des maisons. Mais celles-ci scrutent tous les nouveaux cas d'usage pour identifier les meilleures solutions sur le marché. »

En comparaison de l'industrie automobile ou médicale, la mode a été plus longue à s'y intéresser, l'intégrant au départ comme un outil de communication ou de création. Mais dès la fin des années 2010, l'IA a fait son apparition pour la segmentation des collections, et ce afin d'optimiser la production et de réduire le gaspillage. Les machines de découpe de matières sont quant à elles munies de la technologie pour minimiser les chutes.

L'IA est également utilisée par les marques pour traiter et trier des millions d'images de produits, celles de leurs concurrents, leur permettant ainsi d'affiner leur offre et les prix. C'est un tel outil de veille que l'artiste et ingénieur Paul Mouginot a créé, avant de le revendre en 2018 à Veepee, spécialiste du commerce en ligne.

Au-delà de cet usage, le jeune homme met en avant la capacité prédictive de l'IA, qui aide à mieux comprendre la demande au moment du lancement d'un nouveau produit ou d'une nouvelle collection. « On fait alors travailler la machine sur des données historiques de produits similaires », explique Paul Mouginot. « On peut aussi mobiliser une IA générative, comme l'avait expérimenté la marque suédoise Acne Studios en 2020, avec Robbie Barrat. En fournissant à l'IA les données d'archives d'Acne, l'artiste avait créé une collection nouvelle, sorte de quintessence de la marque. »

Pour que la mode s'inscrive en amont dans une démarche plus sobre, l'IA générative offre également de tester en 3D des idées créatives avant de se lancer dans la confection de prototypes. Si Paul Mouginot utilise aujourd'hui ces assistants intelligents pour créer des œuvres – peintures, sculptures en bronze ou même tapisseries d'art –, il se garde bien de tout positivisme naïf. L'artiste attire l'attention sur l'empreinte écologique : « Si les IA permettent de limiter les gâchis de production et, de manière prédictive, d'économiser des ressources, elles ont un coût énergétique lié au renouvellement des serveurs, lesquels par ailleurs tournent beaucoup. » Il insiste sur le côté « à double tranchant » dans la mode : « L'IA peut permettre, en analysant précisément la demande, d'optimiser l'offre et de s'orienter vers du sur-mesure. On s'approche alors au plus près des attentes des clients. Ou, au contraire, elle sert de moteur pour doper l'offre de façon exponentielle, comme peuvent le faire certaines marques de fast fashion en temps réel. Tout dépend de l'intention que l'on a et de la finalité recherchée par les entreprises qui y ont recours. » En accélérant la production et en ouvrant les champs créatifs, l'IA appelle une question cruciale. À quelles fins utilisera-t-on cette technologie : pour produire mieux ou plus ?

FINANCE VERTE

Booster et sécuriser les choix

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, l'argent est le nerf de la guerre. Pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone en 2050, il va falloir investir massivement. Dans un rapport choc remis au gouvernement au printemps 2023, l'économiste Jean Pisani-Ferry et l'inspectrice des finances Selma Mahfouz ont chiffré l'effort pour la France à 70 milliards d'euros par an d'ici à 2030 !

Comment mobiliser de telles sommes ? Grâce notamment à la finance verte. Mise sur orbite lors de la Cop21 à Paris, elle a donné naissance à une panoplie d'instruments : obligations vertes, fonds labellisés, marché des droits à polluer… Dernier outil en date, la taxonomie verte européenne oblige les investisseurs à publier la liste de leurs placements verts.

Partant d'une intention louable et pour éviter le greenwashing, le dispositif a accouché de 40 000 pages de règlements, de critères complexes d'évaluation et de calculs des émissions de CO2. L'IA a donc rapidement été appelée en renfort par les investisseurs publics et privés pour affronter ce tsunami réglementaire.

« Nous avons développé, avec l'association des banques publiques allemandes, un outil d'IA qui passe au crible toutes les données permettant de savoir si tel projet ou telle entreprise est éligible à la taxonomie européenne », témoigne Amine Gharby, responsable commercial France et Benelux de la fintech suisse Dydon.

Comment cela fonctionne-t-il ? « Prenons une banque sollicitée pour financer un immeuble. Son client va lui fournir une série de documents, de l'étude des sols aux matériaux utilisés en passant par le business plan. Une masse de données à partir desquelles notre outil va mesurer son impact au regard de la taxonomie verte et valider ou non le projet », explique Amine Gharby.

Une façon de freiner les projets les moins vertueux et d'accélérer la levée de fonds en faveur de la transition écologique. ■

ÉCOLOGIE 360 I septembre • octobre • novembre 2024

L'IA est en train de modifier radicalement notre capacité à anticiper les phénomènes climatiques extrêmes.

© Gwenaël Hagen

Références
  1. https://fichiers.acteurspublics.com/redac/pdf/2018/2018-03-28_Rapport-Villani.pdf