Il peut paraître paradoxal d’associer vin et bonnes pratiques. Comment une boisson contenant entre 12 et 15° d’alcool pourrait-elle être bonne pour la santé ? En la matière, il serait réducteur de cantonner le propos à ce seul prisme. Est-il besoin de rappeler que la viticulture est d’abord une activité agricole qui implique de nombreux acteurs, à commencer par les sols, le viticulteur et le consommateur ? Ainsi, après des décennies d’emploi de produits chimiques dans les vignes, potentiellement contaminant pour les sols et impactant pour la santé des personnes chargées de les pulvériser, une nouvelle génération de vignerons a décidé de s’orienter vers des pratiques culturales plus respectueuses de l’environnement.

Du soufre, du cuivre et de l’huile de coude

En 1985, l’agriculture biologique a commencé à se fédérer autour d’un cahier des charges et d’un label (AB), avant d’être encadré par une réglementation européenne en 1991. « Cette pratique a pour objectifs la préservation des sols, le développement de la biodiversité dans le vignoble et le respect de l’environnement », détaille Paul Zinetti, responsable du domaine des Épeneaux à Pommard (Bourgogne), en bio depuis la fin des années 1980. Pour arriver à ces fins, la pratique prévoit pour l’essentiel l’interdiction de l’utilisation de produits issus de la chimie de synthèse. En 2023, 171 265 hectares de vignes, sur les quelque 800 000 hectares exploités en France, étaient ainsi certifiés ou en cours de conversion, représentant 12 022 producteurs, contre 112 203 hectares en 2019, soit une hausse de plus de 50 % en quatre ans !

Ainsi, fini les herbicides. Le viticulteur bio adopte des techniques mécaniques pour lutter contre les mauvaises herbes : travail du sol, désherbage thermique, paillage… Certains travaillent même sur le couvert végétal des sols avec différents types de céréales ou de graminées pour mieux contrôler l’apport en azote. Pour lutter contre les maladies, il dispose de deux produits : le soufre (contre l’oïdium) et le cuivre (contre le mildiou ou le black-rot, notamment). L’usage de ce dernier a pu faire polémique, dans la mesure où ce métal lourd peut rester présent dans les sols pendant de très nombreuses années. La Commission européenne a drastiquement restreint son utilisation à 28 kg par hectare sur sept ans, avec un maximum de 4 kg par an. « Le problème de la charte bio est qu’elle est la même quelle que soit la région », regrette toutefois Paul Zinetti. Le Bordelais, la Bourgogne, l’Alsace ou le Languedoc ne sont pas égaux face au climat. « En 2024, en raison des très fortes précipitations, de nombreux vignerons bourguignons ont passé leur temps à lutter contre le mildiou, et il est probable qu’un certain nombre d’entre eux ont dépassé les quatre kilos de cuivre », ajoute-t-il. Or, la charte est implacable : en dehors des clous, l’agrément est perdu.

Accepter une baisse de rendement

Un autre inconvénient de l’agriculture biologique est le moindre rendement, entre 10 et 20 % suivant les cas. « Ce n’est pas si grave que cela, tempère Paul Zinetti. Dans mes vignes, je produis entre 30 et 35 hectolitres par hectare. Ce qui me permet d’avoir des raisins d’excellente qualité. » Et de nombreux vignerons en bio, compte tenu de l’attrait du public pour ces vins, ont la capacité de compenser cette baisse du rendement par le prix de vente de la bouteille. « Le bio, c’est aussi un peu plus cher… Il faut notamment plus de matériel, plus de main-d’œuvre », concède-t-il aisément.

La science de l’observation

Parallèlement s’est développée la biodynamie, une pratique théorisée en 1924 par Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie (un mouvement de pensée proche de la nature qui considère le monde mû par des forces spirituelles) dans son Cours aux agriculteurs. Cette discipline est d’abord une science de l’observation : « L’humain, l’animal et le végétal sont sur un même plan, précise Thierry Germain, du domaine des Roches Neuves, à Saumur, en biodynamie depuis plus de vingt ans. Ainsi, en observant ses vignes et son environnement, le vigneron identifie leurs besoins et leur fournit les éléments dont elles ont besoin. » Cela passe par l’utilisation de différentes préparations qui sont dynamisées, c’est-à-dire brassées dans de l’eau tiède à faible dose. Parmi les plus utilisées figurent la bouse de corne (dite préparation 500), qui favorise la vie, la structure du sol et stimule la croissance racinaire, et la silice de corne (dite préparation 501), qui favorise la photosynthèse afin d’aider la floraison, la fructification et la maturation. « Ces traitements sont complétés par d’autres préparations à base d’achillée millefeuille, de camomille, d’ortie, de pissenlit, de valériane… », détaille Jean-Philippe Bret, du domaine de la Soufrandière, à Vinzelles (Bourgogne). De très nombreux domaines stars se sont convertis à cette philosophie, à commencer par Palmer, Fonroque, La Lagune ou Pontet-Canet dans le vignoble de Bordeaux, ou encore le domaine de la Romanée-Conti en Bourgogne.

Limiter, voire supprimer les intrants

Reste la question des pratiques de vinification. Là encore, quelques vignerons avant-gardistes comme Marcel Lapierre dans le Beaujolais et Marcel Richaud en vallée du Rhône ont, dans les années 1990, commencé à vinifier en limitant, voire en supprimant tout intrant. « Mon père a entamé ses premières vinifications en faisant beaucoup d’erreurs. Mais rapidement, dès que le process a été maîtrisé, le domaine a produit des vins beaucoup plus aromatiques, expressifs, libérés de toute camisole », détaille Thomas Richaud. Ils sont aujourd’hui des centaines à marcher dans leurs pas. « Nous n’utilisons que des levures indigènes, nous ne filtrons pas les vins et n’ajoutons aucun additif, tel le soufre qui est banni des vinifications. Mais cela demande beaucoup d’attention et d’hygiène en cave », poursuit-il en précisant qu’il faut, au préalable, disposer d’une vendange saine, ce qui nécessite de faire un tri sérieux lorsque les vendanges entrent en cave. « Les vins nature, c’est la suite logique des pratiques bio et biodynamique. Ce sont les levures travaillées en vigne qui donnent l’expression des vins », conclut-il.

Hors certification, point de salut ?

L’engouement pour le bio a conduit l’ensemble de la profession à réfléchir sur ses pratiques culturales. Par exemple, le comité interprofessionnel des vins de Champagne s’est engagé dans une démarche « 100 % certifiée » d’ici à 2030 (que ce soit avec le label bio ou d’autres labels alternatifs comme « Viticulture durable en Champagne » ou « Haute valeur environnementale »). Les cultivateurs bio ont montré la voie, à tous les vignerons de la suivre, chacun à leur rythme. Un retour en arrière n’est pas envisageable.