En recréant une filière complète en France, la marque 1083 s'engage dans la réduction de l'impact du jean sur l'environnement, sans négliger la durabilité de ses produits.
C'est pile en face d'un temple de la surconsommation textile et du déstockage (Marques Avenue) qu'est installé le siège de la marque française de denim 1083. Un comble pour cet acteur de la mode responsable qui défend la qualité plutôt que la quantité. Deux symboles, de part et d'autre de l'avenue. « C'est moi le trublion, ironise Thomas Huriez, le fondateur de 1083. Sans eux, je n'aurais peut-être pas repris le petit magasin de mon grand-père pour l'orienter vers des produits éthiques et proposer un contre-modèle. Et je n'aurais pas ensuite lancé la marque. »
Il y a plus de dix ans, il choisit de s'attaquer au jean, le vêtement le plus populaire mais aussi le plus polluant (25 kg d'éq. CO2 en moyenne). Il propose une alternative locale à ce symbole de la mondialisation. Son idée est de relancer une fabrication française en créant une filière industrielle complète, animée par des unités de production réparties sur un territoire borné du nord au sud par 1 083 kilomètres… le nom qu'il choisit de donner à la marque.
Un modèle écoresponsable inspirant
Aujourd'hui, avec 50 000 jeans vendus par an (autour de 130 euros en moyenne), 1083 s'est imposée dans le paysage du « made in France ». C'est certes peu au regard des plus de 80 millions de jeans achetés chaque année en France et des 2,3 milliards vendus dans le monde, mais c'est près de la moitié de la production nationale.
En mettant la durabilité et l'impact en avant, 1083, à l'instar d'autres marques, a contribué à faire bouger les grands jeaners du marché. Ceux dont l'impact carbone est le plus fort et dont les moyens financiers sont considérables, mais qui sont allés si loin dans leurs schémas de production qu'ils en ont perdu la traçabilité. Difficile de trouver les lieux de fabrication, comme le souligne WeDressFair, marketplace éthique, à propos de Levi's. Par son initiative, 1083 remet le curseur au bon endroit à un moment où le consommateur commence à questionner la provenance de ses achats. Depuis cinq ans, pour redorer leur image ou par conviction, les autres jeaners ont fait évoluer leurs offres. « Des initiatives de relocalisation, comme le Denim Center de Fashion Cube (ndlr, groupe Mulliez) dans les Hauts-de-France, sur des gros volumes à petits prix, moi je dis que c'est très bien. Flairant le côté porteur de ce marché, des investissements de plusieurs millions ont été engagés et cela va dans le bon sens. On voit qu'on tracte les autres… » Pour expliquer ce rôle de lanceur d'alerte qui va de pair avec sa démarche, Thomas Huriez utilise une métaphore ferroviaire : « Nous sommes dans la locomotive et faisons l'effort de parcourir les wagons pour dire où l'on veut aller, comment on y va. »
Produire en France
Les étapes de fabrication sont toutes intégrées mais le travail est réparti dans les différents ateliers multitâches (coupe, confection, etc.). À Romans, qui centralise la logistique, arrivent à la fois la matière première (la toile tissée à 80 % dans les Vosges chez Tissage de France et à 20 % dans la Loire chez Les Tissages de Charlieu, la mercerie…) et les produits finis confectionnés sur les autres sites. 50 % de la coupe se fait là, sur machine française, dans cet ancien supermarché transformé en unité de production. Le contrôle qualité est également réalisé sur place avant l'expédition. Les salariés, à l'instar de Lucie, employée depuis un an et demi, se forment à différents postes pour éviter la monotonie du travail et gagner en agilité. Le jour de notre visite, elle est à la coupe mais a fait ses débuts au contrôle qualité. Et de nouveaux profils plus expérimentés ont récemment rejoint la jeune entreprise, comme David, ancien responsable de la chaîne d'approvisionnement chez le chausseur Clergerie.
Réduire son impact sur l'ensemble du cycle
Si le jean est montré du doigt depuis plusieurs années, c'est qu'il symbolise à toutes les étapes de sa fabrication les dérives du toujours plus. Plus de pièces, plus de marge.
Premier mauvais point : la consommation d'eau, estimée en moyenne à 7 000 litres par unité, soit l'équivalent de 285 douches. C'est devenu l'indice le plus scruté et nombre de marques mettent ainsi en avant leurs innovations pour réduire leur consommation, du « waterless » de Levi's au nouveau process de lavage d'Uniqlo. Mais pour sortir du simple affichage, il faut regarder plus précisément de quelle consommation on parle. « Les marques communiquent sur les deux marqueurs les plus simples et lisibles que sont l'eau et le carbone. Mais, pour mesurer l'impact réel d'un jean, il faut aussi inclure les conséquences sur la biodiversité et l'humain. Le problème, c'est que pour objectiver tous ces paramètres à court, moyen et long terme, c'est assez infernal. Alors on simplifie, ce qui biaise le calcul », explique Thomas Huriez.
La fabrication d'un jean se divise en plusieurs étapes : l'obtention du fil, la teinture, le tissage, l'ennoblissement, la coupe, la confection, le délavage… Chez 1083, toutes sont réalisées en France. Mais les besoins en eau commencent dès le champ et vont jusqu'au délavage du produit fini. S'agissant de la culture, le créateur de la marque explique pourquoi il a choisi le coton de Tanzanie : « L'important est de privilégier des endroits naturellement arrosés. Le problème, c'est que du fait de la surconsommation de coton au niveau mondial on en a fait pousser partout. » On a pu le mesurer récemment avec l'accusation formulée à l'encontre de marques de fast fashion de participer à la déforestation au Brésil pour y faire pousser du coton.
Outre la teinture sur laquelle nombre de marques ont fait des efforts, à l'image de Wrangler et de son Indigood, le délavage du jean a longtemps contribué à son impact déplorable sur les eaux et la santé des employés des usines textile, lesquels manipulaient des produits chimiques ou supervisaient les techniques de sablage. Les griffes écoresponsables stipulent que leurs jeans sont « non chlorés, non sablés ». Une maison comme Dior précise désormais sur la notice de ses denims une baisse de 53 % de sa consommation en eau et en électricité lors du délavage. Chez 1083, il est réalisé à l'ozone, technique non polluante qui réduit fortement les cycles de lavage.
Plus on est près, plus on voit. C'est pour cette raison que la marque a choisi de privilégier la proximité. « L'un des enjeux est de rechercher une amélioration continue. La qualité n'est pas innée mais se construit au fur et à mesure et cela vaut à l'échelle d'une société et plus largement d'une filière », insiste Thomas Huriez. Si le cycle de fabrication du produit engage un impact, il en est de même de son cycle de vie après l'achat. C'est là que le consommateur a un rôle à jouer. 1083 lui explique, par exemple, qu'il est préférable de laver son jean à 30 °C ou de ne pas le mettre au sèche-linge. La marque réfléchit aussi au fait de gagner en responsabilité au moment de la fin de vie des produits. Parce que le polyester permet de réaliser un jean complet, du fil à la toile, elle a inventé le jean infini. Consigné 10 euros au moment de l'achat, ce jean en polyester recyclé est entièrement recyclable… et à l'infini. Les vieux modèles en coton et les chutes de production sont quant à eux récoltés, triés pour faire du fil. Les premiers exemplaires utilisant cette matière, issue à 50 % du recyclage et à 50 % de fibre de coton français, doivent être livrés prochainement.
Petites séries mais de meilleure qualité
D'origine ukrainienne, Maria, qui travaille ici depuis dix ans, est entrée comme mécanicienne de confection alors qu'il n'y avait qu'une dizaine de machines. Aujourd'hui, son atelier en compte quarante, où sont à présent confectionnés les prototypes et petites séries : salopettes, jupes, mais aussi les jeans du présentateur télé Denis Brogniart, rencontré sur le salon du Made in France, ou les vestes bleu Klein des musiciens du trompettiste Ibrahim Maalouf. Devenue responsable d'atelier, l'ancienne couturière a aidé à mettre en place l'organisation, la rotation entre les différents postes. Elle a ensuite dupliqué ce schéma dans les Vosges et se charge en plus du fonctionnement de l'unité de production et de son optimisation.
La marque a déjà réalisé des jeans pour le compte de grandes enseignes comme Decathlon et son rayon escalade. Cet échange d'expertise est vertueux car en contrepartie les industriels, mieux armés sur le plan commercial, lui ouvrent la possibilité de travailler à une autre échelle. En effet, impossible de parler d'impact sans parler de quantité. « Progressivement, on a glissé d'une mode pour être à une mode pour avoir. Le problème, c'est la quantité. Levi's, qui communique depuis quelques années sur le fait que ses jeans durent, devrait logiquement être prêt à en vendre moins. On est devenus des alcooliques de textile. Nous, nous disons : buvez moins, mais mieux. L'important est de trouver les vêtements dans lesquels on se sent bien. Si on est bons, nous devrions contribuer à réduire le volume total de jeans en France. » Le moins mais mieux a trouvé en Thomas Huriez son meilleur ambassadeur. ■
À lire
La Permaindustrie. Comment le développement d'écosystèmes inspirés de la nature est en train de changer le monde, Thomas Huriez, Éric Boël, Audrey Prat et Jean-Marc Bouillon, Eyrolles, 2024, 192 p., 18 €.