Vous rappelez le rôle de l'eau pour l'humanité, pourquoi cela vous semble essentiel aujourd'hui ?
L'eau est au cœur de tout. C'est 71 % de la surface de la Terre si l'on ne tient compte que des océans. 60 % d'un corps humain adulte est composé d'eau. Et l'on ne survit sans eau que quelques jours. Historiquement, nous avions une vision terrienne de notre planète. Mais tout a volé en éclats le 7 décembre 1972. Apollo 17 prend une photo de la Terre à 29 400 kilomètres. On découvre alors qu'il s'agit d'une boule bleue, d'une planète d'eau qui tourne autour du Soleil. Et si l'on regarde les problèmes qu'entraîne aujourd'hui le réchauffement climatique, c'est encore d'eau qu'il s'agit.
Vous voulez parler de la sécheresse ?
Pas seulement : 42 % des catastrophes naturelles sont des inondations, et elles font des milliers de morts. Le stress hydrique, tout comme notre consommation irraisonnée de l'eau provoquent des déséquilibres qui pourraient être irréversibles. La hausse du niveau de la mer met en péril 10 % de la population. Si les cycles de l'eau s'écroulent, notre civilisation n'y survivra pas. Elle s'est bien sûr construite sur les énergies fossiles dont il faut sortir, mais surtout sur la maîtrise de l'eau. Nous sommes le résultat d'une civilisation hydraulique urbaine qui a vu le jour il y a six millénaires, entre le Tigre et l'Euphrate.
Vous affirmez qu'il faut renoncer au capitalisme pour l'« hydrisme ». Expliquez-nous cette étrange rupture.
Ça n'a rien d'un problème académique, mais d'une question de vie ou de mort. Jusqu'à présent, nous étions dans une approche d'appropriation de l'eau. Ce que les économistes appellent le nexus « eau-énergie-alimentation ». Sans eau, pas d'électricité – car pas de centrales thermodynamiques ou nucléaires –, et pas d'alimentation – car pas de cultures sans eau. Environ 70 % de l'eau utilisée par l'homme est destinée à l'irrigation agricole. Et nous en gaspillons énormément. Compte tenu des pénuries d'eau que provoque le réchauffement, ce nexus entraîne tout le vivant vers l'abîme.
Que peut-on faire ? Changer notre manière d'appréhender les choses. C'est cela, l'hydrisme. Il valorise des énergies peu consommatrices d'eau et au coût marginal, quasiment nul, comme l'éolien ou le solaire ; mais aussi la circularité, c'est-à-dire la réutilisation ou un retour à l'état naturel après usage. L'hydrisme ne considère pas que la nature est un ensemble de ressources passives mais, au contraire, de sources de vie animées qu'il faut respecter. Cela suppose un vrai changement, avec une idée centrale : la vraie richesse, c'est l'eau.
Ce changement est-il possible sans que ce soit le chaos ?
Le chaos, ce sera si l'on ne change rien ! Nous sommes entrés dans la sixième extinction – la dernière a eu lieu il y a 65 millions d'années. Nous devons nous assurer que cela ne devienne pas une réalité. Pour cela, il va falloir anticiper les risques de conflits entre États, autour des tensions provoquées par la nouvelle donne de l'eau. Il y a déjà des approches de ce type. Des blue deals par exemple, comme celui qui réunit la région autonome de Catalogne, les îles Baléares en Espagne et l'Occitanie en France. Il existe aussi une gestion commune des écosystèmes et de leurs ressources entre le Canada et les États-Unis, à l'est et dans la région des Grands Lacs.
Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que nous devons profiter de cette crise climatique pour repenser notre relation avec notre planète, les autres humains et les autres espèces. Nous avons oublié la majesté de la vie et à quel point elle demeure importante. Heureusement, je perçois chez la génération Z ce sentiment que notre planète est un merveilleux système et que notre espèce n'y est qu'une toute petite chose. C'est une profonde évolution des consciences. Elle entraîne un comportement très différent, qui peut tout changer.
Économiste et conseiller politique, Jeremy Rifkin est l'auteur de L'Économie hydrogène et du New Deal vert mondial.
© Arnaud Meyer/Leextra/Buchet-Chastel
En librairie le 19 septembre : Jeremy Rifkin, Planète Aqua, Buchet-Chastel, 384 p., 26 €