Qui a testé l'effet des marées dans une baïne ou joué dans les rouleaux du Pacifique ou de l'Atlantique sait la puissance de l'océan, de ses vents, de ses vagues, de ses courants. Dès le Moyen Âge, l'homme a installé des moulins à marée. Depuis, les énergies marines se sont diversifiées pour produire de l'électricité, du chaud ou du froid. La désalinisation, quant à elle, devient vitale dans les régions où la sécheresse s'avère chronique (voir p. 112). Ces technologies marines ne sont pas parfaites. Elles doivent encore surmonter des défis techniques, des problèmes de coût et d'impact. Mais leur adoption à grande échelle peut vraiment accélérer la transition.
Hydrolienne
L'art de la discrétion et de la régularité
L'idée : immerger des sortes d'éoliennes qui tournent au gré des courants de marée. L'avantage : ces courants sont très prévisibles. Grâce à des pales qui tournent lentement, elles évitent aux poissons les collisions et leur impact environnemental semble par ailleurs faible. Leur acceptabilité sociétale, quant à elle, ne fait pas débat. Sous l'eau et dans des zones à fort courant, les hydroliennes sont invisibles et ne gênent pas les pêcheurs.
En France, une première ferme pilote, destinée à valider la construction industrielle, a été annoncée en juillet 2023. Les sept hydroliennes « made in France » du projet FloWatt, d'une puissance totale de 17,5 MW, seront immergées dans le raz Blanchard – le plus fort courant d'Europe – à l'horizon 2027. Juste à côté, celles de Normandie Hydroliennes ajouteront 12 MW de capacité avant 2030 (l'équivalent de la consommation de 16 000 foyers). Marc Lafosse, président de la commission énergies marines renouvelables au Syndicat des énergies renouvelables (SER), rappelle qu'il faut « des objectifs clairs dans la prochaine programmation. C'est indispensable pour que les industriels puissent poursuivre leurs efforts et pour que les coûts baissent ». Voilà un savoir-faire français qu'il ne faudrait pas laisser filer, faute de visibilité et de soutiens adéquats.
Marémotrice
Le nouveau principe des lagons
Le mouvement des marées est exploité en France depuis 1966 pour produire de l'électricité. L'usine de la Rance, d'une puissance de 238 MW, fonctionne toujours. Située au sud de Saint-Malo, elle est restée jusqu'en 2011 la plus puissante du monde. Mais les impacts sur l'environnement ont été réels. La construction de l'usine a en effet mis à mal l'écosystème local pendant une dizaine d'années. Le nouveau marémoteur doit résoudre le problème. Plus question de barrer des estuaires. L'ambition est désormais de construire des lagons artificiels dans lesquels les marées entrent et sortent en faisant tourner une unité marémotrice. Et les forts marnages, c'est-à-dire la différence de niveau entre la marée haute et la marée basse, dont bénéficie la France pourraient rendre le concept particulièrement intéressant. Le potentiel s'élèverait à 5 % de notre consommation d'électricité.
Un projet est en cours depuis plusieurs années dans la baie de Swansea (Pays de Galles). Un projet pharaonique de quelque 10 milliards d'euros qui a dû être remodelé, mais qui avance. La ville de Liverpool vient aussi d'annoncer son ambition d'installer 28 turbines à l'embouchure de la rivière Mersey. L'usine devrait être en mesure d'alimenter plus d'un million de foyers d'ici à une dizaine d'années. L'énergie marémotrice n'est pas morte, semble-t-il.
Désalinisation
Les perspectives de l'eau éternelle
C'est un raz-de-marée, si l'on ose dire. En trois décennies, les usines de désalinisation, ou dessalement, de l'eau de mer ont poussé comme des champignons. On en dénombre aujourd'hui 22 000 dans le monde, de toutes les tailles. La plupart d'entre elles se trouvent au Moyen-Orient et en Afrique. L'Arabie saoudite produit à elle seule 22 % de l'eau dessalée dans le monde et couvre ainsi 70 % de ses besoins en eau douce. Israël, plus de 80 %. Et les rangs des pays clients ne cessent de grossir : Espagne, Portugal, Taïwan…
La désalinisation a de nombreux atouts : matière première inépuisable, proximité des consommateurs (60 % de la population mondiale vit à moins de 150 kilomètres d'un rivage). Les premières unités de désalinisation, au début des années 1960, dévoraient 20 kWh (l'équivalent de l'éclairage d'une maison pendant un mois) pour un mètre cube d'eau dessalée. Aujourd'hui, on est à 3 kWh. Et l'on compte tomber à 2,5 kWh avant 2030. Moins que la consommation d'une voiture électrique roulant à 40 km/h pendant une demi-heure. Les prix à l'usage aussi ont chuté. Désormais, 0,50 euro suffit pour produire 1 000 litres, la consommation hebdomadaire moyenne d'un Français. La promesse d'une eau potable éternelle est-elle en vue ? Pas encore. Il faut beaucoup d'électricité pour dessaler. Et l'essentiel des pays qui le pratiquent sont encore très dépendants des énergies fossiles. Seule une montée en puissance des champs solaires et des éoliennes, ainsi que le retour en grâce du nucléaire vont permettre de faire tourner plus proprement ces usines.
Les innovations fleurissent dans ce sens. La start-up française Osmosun, implantée près de Chartres (Eure-et-Loir), compte parmi les champions de la désalinisation bas carbone grâce à de petites unités fonctionnant au solaire et sans batterie. « Nous avons commencé à équiper hôtels, îles, villages isolés, des villes de quelques dizaines de milliers d'habitants… », explique son P-DG, Quentin Ragetly.
Reste le principal reproche fait à l'industrie du dessalement : elle rejette en mer le concentrat, mélange d'eau chaude ultra-salée avec les produits chimiques utilisés. Une catastrophe écologique, dénoncent les associations environnementales. Sous leur pression et celle de certains États clients, les industriels investissent pour diminuer et diluer la nocivité de ces rejets. Cela suffira-t-il à rassurer les défenseurs des océans ? Pas sûr. Mais leur prévention risque de peser moins lourd que la sécheresse qui frappe à la porte de plus en plus de pays.
Osmotique
Tout est dans la salinité
L'énergie osmotique produit de l'électricité à partir de la pression induite par la différence de salinité entre l'eau de mer et l'eau douce des fleuves. C'est le mouvement chimique des molécules créé par cette différence de salinité qui permet de produire de l'énergie. Massivement disponible dans les deltas et les estuaires, elle représente un potentiel de près de 30 000 TWh par an. Plus que la demande mondiale d'électricité ! Elle permet la production à grande échelle d'une électricité décarbonée, renouvelable et non intermittente. Elle pourra à terme fournir jusqu'à 15 % des besoins globaux d'électricité. C'est une source d'énergie pilotable et flexible. Les stations osmotiques occupent peu de surface au sol. Les matériaux peuvent être biosourcés, et les eaux circulant dans le système, restituées intégralement et naturellement dans l'estuaire. Faut-il encore des arguments pour démontrer les atouts de cette énergie marine trop mal connue ? La Norvège et les Pays-Bas, toujours à l'affût d'énergies renouvelables, s'y intéressent fortement.
En France, la start-up Sweetch Energy et la Compagnie nationale du Rhône (CNR) travaillent à un projet dans l'embouchure du Rhône. Appelée OsmoRhône 1, « cette station produira à terme de l'électricité pour environ 2 millions de personnes. L'équivalent de 4 TWh par an », soutient Nicolas Heuzé, cofondateur de Sweetch Energy. La problématique, c'est de réussir à produire à grande échelle les membranes semi-perméables permettant la réaction chimique et qu'elles soient performantes sans être trop coûteuses. Le marché des énergies renouvelables est en effet devenu très concurrentiel. Cela n'empêche pas Nicolas Heuzé d'y croire : « Avec notre partenaire EDF Hydro, nous évaluons des sites en France métropolitaine et d'outre-mer. Nous étudions aussi un projet en Bretagne, à l'embouchure de la Vilaine, d'autres en Amérique du Nord et dans d'autres régions du monde. »
Éolienne
L'avenir est dans le flottant
Le parc éolien en mer de Saint-Nazaire, d'une puissance de 480 MW, soit l'équivalent de 20 % des besoins électriques de la Loire-Atlantique, a été inauguré en septembre 2022. Le tout premier du genre pour la France. Notre pays est en retard ; certains de nos voisins européens se sont lancés dix années plus tôt. À la traîne aussi sur ses propres objectifs. Pour Jérémy Simon, délégué général adjoint du SER, « la bonne nouvelle, c'est que nous sommes en train de rattraper ce retard ». Deux autres parcs ont commencé à produire. Trois sont en travaux. D'ici à 2035, la France ambitionne de mettre en service 18 GW d'éolien en mer (soit la puissance installée de 16 réacteurs nucléaires). Et même 45 GW à l'horizon 2050. L'équivalent d'une quarantaine de réacteurs nucléaires en puissance d'installation.
Dans le paysage arrive aussi une nouveauté que des experts voient comme une vraie rupture : le flottant. Des turbines sont installées sur des flotteurs eux-mêmes ancrés au fond marin. L'intérêt ? Profiter de vents plus puissants et plus constants à des distances souvent éloignées des côtes.
En 2021, le gouvernement français a lancé le premier appel d'offres commercial au niveau mondial pour l'éolien flottant. Il vise la construction d'un parc de 250 MW à une quarantaine de kilomètres des côtes de la Bretagne pour alimenter 450 000 habitants à partir de 2031.
Deux autres projets existent en Méditerranée. Ils pourront produire à terme l'équivalent de près de 10 % de la consommation électrique des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie. Un autre a été proposé pour l'île de La Réunion par les entreprises Akuo et BlueFloat Energy.
De manière plus large, un exercice de planification des sites disponibles à l'échelle nationale est en cours. « Nous attendons de l'État qu'il lance les appels d'offres idoines, souligne Jérémy Simon, qui ajoute : La filière est prête. En France, quatre usines fabriquent des éoliennes en mer. Elles peuvent pérenniser 7 500 emplois. » En passant d'une production de 2,4 GW à 6,2 GW pour 2028, la France mise sur la réalisation de 50 parcs offshore d'ici à 2050. Des objectifs que la filière risque d'avoir du mal à tenir car le marché se tend, avec des matériaux chers et une concurrence chinoise accrue.
Thermique des mers
De l'électricité, du chaud, du froid
Une autre ressource énergétique de nos mers se cache dans la température de leurs profondeurs. L'idée : aller pomper une eau plus fraîche en été (ou plus chaude en hiver) et qui peut servir à refroidir ou réchauffer des bâtiments. C'est justement avec ce système qu'un réseau géothermique d'eau de mer régule la température du quartier Euroméditerranée de Marseille. Mais Monaco a mis en place son système de pompe à chaleur et de climatisation par eau de mer (Swac) dès les années 1960. Beaucoup de villes du bord de mer en utilisent, telles que La Seyne-sur-Mer, La Grande-Motte, Biarritz, Cherbourg, Brest ou encore Boulogne-sur-Mer. Celui de l'île de La Réunion est d'une taille record. Le CHU de Saint-Pierre devrait, à partir de 2025, en profiter aussi. Il promet une économie de 30 % sur la consommation d'électricité de l'établissement.
L'exploitation de la thermodynamique permet aussi de produire de l'électricité. Grâce à un système de pompe à chaleur, la différence de température qui existe entre les eaux profondes à 5 °C et les eaux de surface à 25 °C est ainsi utilisée. « Cette énergie est abondante, mais il faut pomper beaucoup d'eau. Environ une piscine olympique chaque minute pour une centrale de 5 MW », explique Matthieu Hoarau, le fondateur de la start-up DeepRun, installée à La Réunion. Pour cela, il faut des tuyaux d'au moins 2,5 mètres de diamètre et de 1 000 mètres de long, dont le coût est estimé à 100 millions d'euros s'ils sont fournis par l'industrie parapétrolière. C'est cher. DeepRun ambitionne de fabriquer localement ces tuyaux à partir de matériaux disponibles sur place pour en diviser le coût par dix. « Même s'il faut les remplacer trois ou quatre fois pour un système viable vingt-cinq ans, le coût d'exploitation de la centrale resterait acceptable. » Le projet en est encore à sa phase de recherche et développement. Mais des essais en bassin sont prévus dans deux ans.