Constantino Aucca Chutas, biologiste péruvien, a planté des millions d'arbres, parfois jusqu'à 5 000 mètres d'altitude. Son combat lui a valu de nombreux prix environnementaux, dont récemment un prix Rolex.
Constantino Aucca Chutas est né au sein d'une famille d'agriculteurs quechuas de la Pampa de Anta, un plateau situé dans la région de Cuzco au Pérou. « Enfant, je veillais sur les moutons et les vaches de mon grand-père. Voilà comment a commencé mon amour pour la nature », raconte-t-il. Son grand-père maternel était contremaître pour une famille de hacendados, ces descendants des colons espagnols, propriétaires de grandes étendues de terre agricole jusque dans les années 1970. Les paysans indigènes qui travaillaient dans ces domaines n'avaient que peu ou pas de droits. « J'avais cinq ou six ans lorsque mon grand-père m'a dit en pleurant : "Nous allons enfin récupérer nos terres", poursuit-t-il. Je n'ai jamais oublié ce moment où, grâce à cette réforme agraire, la vie des paysans indigènes a changé. Et j'ai compris progressivement l'importance de notre héritage et pourquoi il fallait le protéger. »
Protéger les forêts de nuages
Sa passion pour la nature a entraîné Constantino Aucca sur les bancs de la faculté. À l'université San Antonio de Abad de Cuzco, il a concentré ses recherches sur le queñual (Polylepis). Cet arbre natif des Andes, reconnaissable à son écorce composée de fines couches qui se détachent, est essentiel au fonctionnement des forêts de nuages, un écosystème particulier dans lequel l'air est saturé d'humidité. Les arbres qui s'y épanouissent réussissent à capter cette humidité grâce à leurs feuilles, pour ensuite la retenir dans les sols et favoriser ainsi leur croissance. On trouve généralement ces forêts humides en milieu tropical de montagne – parfois jusqu'à 5 000 mètres d'altitude dans les pays andins –, du Venezuela à l'Argentine, mais aussi en Indonésie ou à Madagascar. Elles jouent un rôle primordial dans l'équilibre climatique en préservant les cycles de l'eau. Et leur disparition accélère la sécheresse et la désertification de ces zones de montagne.
En 2000, Constantino a choisi de fonder l'Asociación de Ecosistemas Andinos (Ecoan) pour protéger la diversité des Andes péruviennes, avec l'appui des populations locales et paysannes. Puis en 2018, avec l'ONG Global Forest Generation (GFG), il a lancé Acción Andina. Lui, son équipe et les communautés andines ont décidé d'agir massivement contre la déforestation. Avec Acción Andina, il a planté plusieurs millions de queñuales. En 2022, le Programme des Nations unies pour l'environnement a fait de Constantino l'un de ses Champions de la Terre dans la catégorie « Inspiration et action ». Il a également reçu en 2023 le prestigieux prix Earthshot, créé par le prince William, et un prix Rolex pour son action de reboisement.
Il ne resterait plus que 2 % de la forêt naturelle au Pérou. Et le pays est devenu l'un des plus vulnérables d'Amérique du Sud face au changement climatique. Après des années d'inaction, « les autorités péruviennes et le secteur privé ont pris conscience de la façon dont le changement climatique aller impacter le pays », explique Constantino. Tout en nuançant : « Notre gouvernement actuel vient de créer une loi qui favorise la déforestation et une autre assez laxiste vis-à-vis de l'exploitation minière illégale. » Celle-ci – dont vit largement le Pérou qui exporte cuivre, or, argent et zinc en grandes quantités – ou le bûcheronnage sauvage continuent en effet de dégrader l'environnement des régions éloignées de Lima, la capitale. La faiblesse des services de l'État et parfois la corruption limitent le sursaut nécessaire. Devant la disparition des forêts dans les Andes, il paraît pourtant urgent d'agir, selon Constantino. La dernière sécheresse de 2023 a été dramatique pour le Pérou. Alors, l'homme ne lâche rien. Il a entamé sa dernière saison de plantation avec l'objectif de planter 20 000 pousses de queñual près du village d'Ollantaytambo, à quelques heures du Machu Picchu.
S'inspirer du passé
Malgré les difficultés, Constantino reste positif. Il est convaincu que les solutions se trouvent dans l'histoire du Pérou. Des recherches ont en effet démontré que les civilisations pré-Incas avaient subi un changement climatique très grave aux alentours de 800 apr. J-C. Elles auraient connu plusieurs années de sécheresse durant lesquelles l'agriculture se serait effondrée. Ces populations seraient allées se réfugier dans les montagnes pour trouver de meilleures conditions. « Autrement dit, elles ont fait face à la pénurie d'eau par une résilience positive », détaille-t-il. En construisant alors des aqueducs, des plateformes et des terrasses de culture pour retenir l'eau. Des modèles qui fonctionnent encore aujourd'hui.
Le biologiste défend dorénavant dans des conférences internationales et des universités la construction de systèmes et d'infrastructures pour stocker l'eau de façon naturelle. « À l'avenir, l'argent investi dans des réservoirs d'eau ne suffira pas à répondre aux besoins en eau de Lima (ndlr, 15 % de sa population est privée d'eau potable, soit 1,5 million d'habitants). Et cela ne concerne pas seulement la capitale, c'est aussi le cas pour d'autres villes de la côte Pacifique. L'enjeu n'est pas d'acheter un seau plus grand pour pouvoir conserver plus d'eau, mais de maintenir toutes les sources d'eau opérationnelles et pour lesquelles il faut de meilleures lois et une meilleure régulation », explique-t-il. Son combat n'est pas terminé.
« Mon travail consiste à créer de la vie et de la joie »
Pour Constantino Aucca Chutas, la conservation ne peut se faire sans les communautés indigènes. Acción Andina les aide à mieux stocker l'eau mais aussi à protéger les forêts andines, indispensables à leur survie et à la lutte contre les dérèglements climatiques.
Comment êtes-vous devenu biologiste ?
Par accident. Je suis issu d'une famille très pauvre et je voulais faire une carrière qui nous rapporterait de l'argent. J'ai alors choisi de faire des études de médecine, pour finalement me réorienter dans la biologie. J'ai commencé à voyager dans tout le pays, à rencontrer en Amazonie et dans les Andes des communautés isolées et démunies, que l'État avait délaissées. Je me suis dit : comment pourrions-nous épauler ces gens et sauver toute cette beauté ? C'est là qu'est né mon amour pour la conservation. En 1989, j'étais l'assistant de l'ornithologue danois Jon Fjeldså ; il était venu au Pérou pour un projet de livre. C'était à l'époque du terrorisme (ndlr, référence au conflit armé qui a opposé l'État péruvien à des guérillas communistes et ravagé le pays entre 1980 et 2000, faisant plus de 70 000 morts et personnes disparues). Après avoir survécu à une attaque, Jon m'a dit : « Votre peuple a tellement souffert. Vous devez maintenant les protéger et les aider. » Et me voici, trente ans après, à travailler pour la conservation.
Comment se traduit la sécheresse sévère et inédite que connaît le Pérou ?
J'ai pris des photos de rivières et de lagons complètement asséchés. Partout dans les Andes, des familles entières nous racontent la même chose : « Nous avons perdu quarante vaches sur un troupeau de soixante têtes », par manque de pâturage ou d'eau, ou « Les pommes de terre ne poussent plus ». C'est un grave échec économique pour elles, qui vivent dans des conditions très modestes et ont presque été oubliées. Toutes les productions se sont effondrées et les gens de la capitale blâment bêtement ces agriculteurs. Voilà à quoi ressemble le changement climatique.
Comment avez-vous décidé d'agir ?
Il y a eu 28 réunions sur le changement climatique. Nous avons accueilli la Cop20 à Lima en 2014, puis il y a eu celle de Paris l'année suivante, mais il semble que cela soit déjà derrière nous. Comme un rêve lointain. À la Cop de Lima, nous n'arrivions nulle part. Je suis alors rentré à Cuzco et j'ai appelé mes partenaires. Je leur ai dit que nous devions envoyer un message au monde entier. Nous sommes tous convenus de faire un grand reboisement et avons planté 57 000 arbres dans la province d'Ollantaytambo. Le succès a été tel que le projet a connu un grand retentissement. Et, en 2017, j'ai décidé que cette expérience devait se reproduire dans toute la cordillère des Andes. Aujourd'hui, Acción Andina est présent dans cinq pays.
Quelles solutions proposez-vous concrètement ?
Il y a beaucoup à faire : enseigner dans les écoles et faire comprendre aux nouvelles générations que le changement climatique va les frapper durement. La société a tendance à ne réagir que lorsqu'elle est touchée directement. Et encore… Même le Covid ne l'a pas amenée à changer. Alors croyez-vous qu'une sécheresse le fera ? C'est seulement lorsque les gens verront la moitié de leur famille mourir de soif qu'ils commenceront enfin à dire : « Ah, c'est le changement climatique. » J'invite aussi les jeunes et les moins jeunes à innover, à se faire une expérience. Et à ne jamais abandonner, car on apprend toujours de ses échecs.
Pourquoi replanter le queñual ?
Cette arbre a su s'adapter et évoluer. Il ne grandit que dans les hautes Andes et il en existe 45 espèces différentes identifiées à ce jour. Il constitue la plus haute forêt du monde. Les forêts de nuages se situent souvent dans des zones humides ou dans ce que l'on appelle les hauts plateaux andins, très marécageux. Surtout, elles maintiennent l'équilibre des écosystèmes. C'est assez simple : le queñual agit comme une éponge qui retient l'eau et la libère petit à petit. Pendant la saison des pluies, les gouttelettes d'eau des nuages sont captées par les branches et la mousse. L'eau est stockée et va ensuite s'infiltrer dans la terre, 400 mètres plus bas, pour la nourrir et alimenter des sources d'eau naturelles. S'il n'y avait pas ces arbres, il y aurait des érosions, des avalanches, des glissements de terrain…
Pourquoi est-ce aussi important de travailler avec les communautés locales ?
Nous leur apportons du support technique, des fournitures et de la formation. Tout cela dans le but de développer leurs capacités à stocker l'eau, mais aussi pour protéger les forêts de queñuales. Chaque communauté rencontre des problèmes différents. Certaines ont besoin d'assurer l'accès à l'eau, d'autres, de disposer d'un système d'irrigation ou d'arrosage. La conservation doit apporter des bénéfices concrets aux communautés locales. C'est le seul moyen pour qu'elle soit acceptée et maintenue. Si vous ne faites pas participer ces communautés en leur proposant des solutions concrètes, ça ne marche pas.
Les pays occidentaux sont-ils assez impliqués dans la lutte contre le réchauffement ?
Des pays comme les États-Unis ou la Chine, ça ne les intéresse pas car cela va à l'encontre de leurs intérêts, des grandes entreprises et de l'industrie elle-même. Alors, que font-ils ? Ils nous jettent des liasses de dollars.
L'avenir de notre planète dépend-il des avancées scientifiques occidentales ?
Non, regardez : Acción Andina s'inspire d'une science et de techniques d'irrigation vieilles de mille ans. Nous n'avons copié aucune science occidentale. Je crois que nous devons être fiers de qui nous sommes et continuer de faire ce que nous savons faire. Je parle au nom de plus de 35 000 familles qui participent à notre mouvement dans cinq pays.
Le fait d'avoir été récompensé change-t-il des choses dans votre action ?
Il y a des prix qui nous aident financièrement et d'autres qui sont plutôt des reconnaissances. C'est le résultat bienvenu de trente-cinq ans de travail et d'engagement. Mais c'est aussi une grande responsabilité. Avoir du succès ne sert à rien si vous ne savez pas l'utiliser. C'est facile de se laisser aller et d'être tenté par toutes les formes de corruption qui peuvent exister. J'espère que cela ne m'arrivera pas car je représente des milliers de familles indigènes.
Quel est votre mode de vie ?
J'habite à Cuzo, avec ma femme et mes enfants. Nous avons construit notre maison pendant la pandémie de Covid. Nous évitons d'acheter des choses dont nous n'avons pas vraiment besoin. Nous recyclons tout ce que nous pouvons et ne jetons jamais la nourriture. En règle générale, nous avons une vie simple. Nous profitons du peu que nous avons et aimons être utiles aux gens.
Restez-vous optimiste ?
Détruire cette belle planète, c'est facile. Dans l'un de mes derniers discours aux Nations unies, j'ai déclaré que nous devions défendre la vie, la nature et réduire la déforestation. Mon travail consiste à créer de la vie et de la joie. C'est un travail très dur, mais j'ai beaucoup d'espoir pour les communautés et les mouvements que nous avons aidé à organiser. Il faut être résilient et réagir avec force face à cette situation.