Quelles solutions recèle l'océan face aux dérèglements climatiques ?

D'abord, l'océan est une formidable pompe biologique : les microalgues, par photosynthèse, absorbent du CO2 et produisent de l'oxygène. Le zooplancton, qui se nourrit de ces microalgues, émet des pelotes fécales qui plongent dans le fond de l'océan où elles sédimentent. C'est ainsi que depuis des centaines de millions d'années le carbone est durablement séquestré au fond des océans. Ce cycle vertueux reste la plus incroyable des solutions que nous offre l'océan, et il faut le préserver.

L'océan est aussi un régulateur thermique, un acteur majeur du climat. Il absorbe 93 % de l'excès de chaleur de la planète. De plus, les courants océaniques participent à l'échange de chaleur entre les tropiques et les pôles. Or, cette machine climatique est en train de s'enrayer. La fonte des glaces entraîne le réchauffement des océans et une montée de leur niveau. Le pôle Nord, au milieu d'un océan gelé recouvert de banquise, réfléchit le rayonnement solaire. C'est l'albédo. Mais aujourd'hui, les images satellites révèlent la régression de la surface de la banquise, ce qui libère des étendues d'eau libres de glace, qui captent le rayonnement solaire au lieu de le réfléchir. On a ouvert la porte du frigo dans le Nord. La température moyenne à certains endroits a augmenté de quatre degrés en moins d'un siècle.

Ces changements sont-ils irréversibles ?

Si la fonte de la banquise et la montée des eaux sont inquiétantes, n'oublions pas que nous sommes des mutants surdoués. Nous avons aujourd'hui conscience de la situation et nous sommes capables de trouver des solutions intelligentes. Le but, nous le connaissons. Et pas seulement pour garder l'équilibre des océans : il faut aller vers le concept de neutralité carbone en 2050. On ne sait pas encore tout faire sans énergie fossile mais nous allons y arriver petit à petit. Ce qu'il faudrait, c'est déjà retrouver un équilibre, que tout le gaz carbonique que l'on émet puisse être réabsorbé par la nature. Il n'y a que la nature qui sache transformer le CO2 en oxygène. C'est la première solution à notre portée, parce qu'on peut favoriser le développement de plantes partout, y compris des herbiers dans l'océan, et limiter la déforestation. Il faut reconstruire et préserver ce puits de carbone qu'est la végétation.

Ensuite, faire appel à des énergies décarbonées. Là aussi, l'océan peut nous être très utile (voir p. 74). Cela représente d'énormes investissements financiers, mais on a les technologies pour le faire. On sait exploiter les éléments, le soleil, le vent et bien sûr la mer. L'océan fait intrinsèquement partie des solutions. Il faut en exploiter tout le potentiel. Intelligemment ! Il faut aussi aller vers l'énergie nucléaire qui est une énergie bas carbone.

Tout cela nécessite d'être expliqué. Il est indispensable de diffuser une culture scientifique auprès du grand public. C'est ce que nous faisons avec le PolarPodibus (ndlr, un véhicule avec un équipement scientifique embarqué, sur la thématique des océans et à destination des écoles) qui sillonne la France et est allé à la rencontre de plus de 12 000 élèves l'an dernier. Il faut amener la culture océanique à l'intérieur des terres. Parce que l'océan, ce n'est pas que la plage, les poissons et la course au large. L'océan nourrit la moitié de l'humanité, et il reste le plus extraordinaire régulateur du climat.

Pourquoi vous lancez-vous dans l'océan Austral ?

Cette immense étendue est encore méconnue ; les campagnes océanographiques y sont rares. On parle d'un anneau océanique de 22 000 kilomètres de circonférence, d'un océan ouvert qui circule autour de l'Antarctique. Le courant circumpolaire antarctique réunit les trois océans, Indien, Pacifique et Atlantique. Il est un acteur majeur du climat et une réserve de la biodiversité marine. Mais la communauté scientifique internationale reste unanime : on a besoin de mesures in situ pour en savoir plus ! L'océan Austral a beaucoup à nous apprendre. C'est un gigantesque puits de carbone du fait de sa température, car le CO2 se dissout plus facilement dans l'eau froide que dans les eaux tempérées. Ses eaux froides et agitées absorberaient près de 50 % de la part de CO2 d'origine anthropique captée par l'ensemble des océans, alors qu'il ne couvre que 30 % de la surface océanique mondiale. Il faut mesurer plus précisément ces performances.

Cette exploration nécessite-t-elle un outil particulier ?

Oui. Nous avons conçu, avec le bureau d'ingénierie navale Ship-ST de Lorient, le Polar Pod, qui est capable de résister aux conditions extrêmes. C'est un navire vertical zéro émission qui peut, grâce à ses voiles et un propulseur, infléchir son cap pour s'éloigner des icebergs. Entraîné par le courant circumpolaire, tel un satellite autour de l'Antarctique, il va permettre l'acquisition de données sur le long terme qui seront transmises aux chercheurs, océanographes, climatologues et biologistes du monde entier (ndlr, l'équipage est composé de 4 scientifiques, 3 marins et un cuisinier relayés tous les trois mois). Et au grand public, bien sûr. 43 institutions et universités de 12 pays sont engagées dans le programme de recherche. Ce sera une contribution française essentielle à la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030).

Quels sont les équipements embarqués et pour quels relevés et analyses ?

La capacité de Polar Pod à rester stable dans des mers démontées réduira les impacts qui affectent les mesures réalisées sur des grands navires de recherche. On va pouvoir étudier les échanges atmosphère-océan de manière très fine.

Ensuite, on va aider à calibrer les mesures effectuées par les satellites à partir des observations que nous ferons, pour la première fois en toutes saisons et sur le terrain : conditions météo, états de mer, vent, vagues… Nous pourrons mesurer des courants de surface et jusqu'à 50 mètres de profondeur. Et nous avons embarqué une véritable station météo automatique. Avec ses relevés, nous allons affiner les modèles prévisionnels de Météo France. Un troisième axe sera l'étude de ce gigantesque réservoir de biodiversité marine que sont les eaux australes. On en fera l'inventaire par des approches novatrices comme l'acoustique. Cette plateforme silencieuse sera équipée d'hydrophones pour capter l'univers sous-marin. On connaît la signature sonore de toutes les espèces, et l'écoute en continu permettra de réaliser un inventaire de cette faune marine.

Enfin, les scientifiques réaliseront un bilan des pollutions par les aérosols, microplastiques, pesticides, polluants organiques et métaux lourds. Les premiers équipements sont installés et testés depuis juillet 2023 sur Persévérance, navire avitailleur, en attendant la mise à l'eau de Polar Pod, prévue en 2025. ■

Jean-Louis Étienne part explorer l'océan Austral en 2025, grâce au Polar Pod.

© Polar Pod

Dossier 360