Atténuer et s'adapter. Face au réchauffement climatique, il faut non seulement mettre en œuvre les moyens pour en combattre les causes, mais aussi anticiper ses conséquences et s'y préparer. La question du coût de cette adaptation est essentielle. En France, celui de l'inaction a été estimé entre 5 et 20 milliards d'euros¹ (si l'on inclut les effets sur la vie humaine). Qu'en est-il de l'adaptation ? Vivian Dépoues explique tout l'intérêt d'un tel travail et ce qu'il est possible de dire aujourd'hui sur ses enjeux.

Pourquoi faut-il s'inquiéter de l'adaptation au réchauffement climatique ?

Pendant longtemps, on s'est surtout concentré sur la façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). L'adaptation passait au second plan pour deux raisons : il y a encore dix ou quinze ans, les risques liés au réchauffement climatique n'étaient pas considérés comme faisant partie du présent mais plutôt comme une situation du futur. Ensuite, nombreux étaient ceux qui pensaient que si l'on mettait en avant l'adaptation, les pays abandonneraient l'idée de réduire leurs émissions.

Aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence : à l'échelle mondiale, ces efforts de réduction ne sont pas aussi rapides qu'espérés. Il n'est pas question de les abandonner, il faut même les renforcer. Mais il est également impératif que l'on s'intéresse simultanément à la façon de s'adapter. C'est notamment l'objet du Plan national d'adaptation au changement climatique pour la période 2024-2028.

Vous partez d'une hausse des températures de 4 °C en France en 2100. N'est-ce pas envisager le pire ?

Pour savoir comment nous adapter dans le futur, il faut essayer de prendre en compte l'éventail des possibles, ce qui est évidemment très difficile. Pour entrer dans le sujet, nous avons donc décidé de travailler avec cette hypothèse proposée par le gouvernement. Or, si tous les pays du monde respectent les engagements qu'ils ont pris en matière de réduction des émissions de GES – ni plus ni moins –, on se dirige vers une hausse planétaire moyenne de 3 °C, soit environ 4 °C pour la France. Il ne faut pas penser que ce scénario est le pire.

Le bâtiment est le premier secteur sur lequel vous vous penchez. Pourquoi ?

C'est un secteur qui offre l'avantage d'être relativement consensuel sur les enjeux et les réponses à apporter. Il faut distinguer deux grandes catégories : la construction des bâtiments neufs et la rénovation de l'ancien. Pour le neuf, la réglementation thermique actuelle n'est pas assez ambitieuse. Pour une raison simple : la référence est la canicule de 2003, qui ne serait plus un extrême mais la norme dans un climat à + 4 °C ! Il faut donc impérativement rehausser les critères d'adaptation. Pour autant, cela ne représente pas un surcoût énorme : on parle d'une fourchette entre 1 et 2,5 milliards d'euros par an, qui seraient très largement distribués dans l'économie. Quand on parle du neuf, il est plus facile de poser les bonnes conditions : adapter l'écoulement de l'air, faire des appartements traversants… Mais les constructions neuves ne représentent qu'une très faible part du marché.

C'est donc différent pour l'ancien ?

Le problème de l'ancien est que bien souvent on rénove par gestes isolés. D'abord, pour lutter contre le froid sans penser au chaud. On va donc faire de l'isolation thermique, parfois installer dans les maisons de grandes baies vitrées qui permettent au soleil de pénétrer en hiver mais en oubliant d'y ajouter des volets. En été, ces mêmes maisons se transforment alors en véritables serres. En réalité, il faudrait tout penser en même temps : la ventilation, les brise-soleil… Mais lutter contre la chaleur n'est pas encore vraiment un réflexe. Or, la plupart du temps, vous ne faites pas deux fois de suite des gros travaux dans un logement.

Ce qui est sûr, c'est que pour l'ancien, les besoins de rénovation sont considérables. On parle actuellement d'un total de près de 50 milliards d'euros par an. Et alors qu'il en manque plus de la moitié, nous estimons qu'il faudrait encore ajouter quelque 4,5 milliards par an pour que les choses soient faites intelligemment au regard des hausses de température.

Quel est le risque si l'on ne prend pas sérieusement en compte le réchauffement ?

C'est que tout le monde se rabatte sur la climatisation. D'ores et déjà, les Français dépensent pour cela environ 3,5 milliards d'euros chaque année. Bien sûr, dans certains bâtiments on ne pourra pas s'en passer, mais il faut faire en sorte d'en retarder l'usage et de le limiter au maximum. La climatisation a un pouvoir réchauffant très important dans les villes – donc ajoutant au problème contre lequel on essaie d'agir – et cela consomme énormément d'énergie.

Y a-t-il d'autres enjeux pour les bâtiments ?

Sur les murs des maisons qui se trouvent sur des terres argileuses, on voit apparaître des fissures sous l'effet de la sécheresse. On sait faire face pour les constructions neuves ; pour l'ancien, c'est plus compliqué : si l'on voulait adapter l'ensemble des logements à risque, cela coûterait rapidement plusieurs milliards par an sans que l'on soit encore sûr de l'efficacité des solutions ! Il va falloir cibler.

L'autre problème majeur est celui des inondations. Les plans de prévention du risque inondation sont plutôt bien faits mais, une fois encore, on ne prend que l'historique comme référence. Il faudrait arriver à systématiquement s'appuyer sur les projections. En la matière, nous n'avons pas de chiffrage des coûts car ils ne concernent pas que le bâtiment mais des dynamiques territoriales que nous n'avons pas encore pu étudier.

Vous présentez peu de chiffres pour les infrastructures de transport. Pourquoi ?

Le plus gros problème est le manque de connaissances fines sur la vulnérabilité de ces infrastructures. Les investissements qui sont déjà engagés contribuent à les rendre plus adaptées, mais c'est forcément insuffisant au regard des évolutions attendues du climat. En ce qui concerne le réseau ferré, la SNCF a entrepris cette évaluation. Du côté des routes, les études commencent à peine. À la différence du bâtiment, les avis des experts sont souvent très divergents sur le coût des réponses. Par conséquent, nous sommes très démunis pour établir les surcoûts liés au réchauffement climatique. Et même lorsque l'on connaîtra mieux les vulnérabilités, cela ne nous donnera pas automatiquement un coût.

Prenez les infrastructures qui existent actuellement pour évacuer les eaux de pluie, telles que les buses ou les bassins de rétention. Il y a de fortes chances qu'elles soient sous-dimensionnées. Mais si l'on voulait les adapter, sachant qu'il y en a partout en France, les coûts seraient énormes.

La question est : quel niveau de risque est-on prêt à accepter ? Vous avez une route inondable en cas de fortes pluies : faut-il la surélever – ce qui sera très cher –, ou faut-il accepter qu'elle soit coupée – ce qui sera beaucoup moins onéreux ?

Qu'en est-il de l'agriculture et de sa nécessaire adaptation ?

Si la prise en compte des évolutions du climat est importante pour le bâtiment et les infrastructures de transport, elle est existentielle pour l'agriculture. D'ores et déjà, les rendements de certaines céréales diminuent et les sécheresses ou le gel tardif ont des conséquences désastreuses. Les dégâts se chiffrent en milliards d'euros.

Il y a deux options. La première est que l'on ne touche pas aux fondamentaux ; autrement dit, la profession conserve le même type de production, aux mêmes endroits, et les mêmes objectifs de rendement. L'adaptation se fait alors par petites touches avec les mesures les plus efficaces : développement des brise-vent, décalage des calendriers agricoles, utilisation de variétés plus résistantes à la sécheresse, irrigation parfois… On évalue dans ce cas le coût supplémentaire à 1,5 milliard d'euros par an.

Cela sera-t-il suffisant ?

Dans le temps, ces mesures risquent de devenir insuffisantes. On sait par exemple que l'irrigation n'est pas la solution la plus efficace en raison de la disponibilité de l'eau, de l'entretien que cela nécessite et du coût de l'énergie. Or, actuellement, 30 millions d'euros sont consacrés chaque année au soutien des pratiques économes en eau. Quant à ceux qui plaident pour des systèmes de désalinisation, les sommes que cela nécessiterait dans l'énergie ou le transport sont colossales !

Y a-t-il une autre option sur la table ?

Pour certains acteurs, la seule solution est de changer radicalement le modèle agricole. Mais là, d'autres enjeux apparaissent. Imaginons par exemple que l'on décide de remplacer à une grande échelle la culture du maïs, très gourmande en eau, par du sorgho qui en nécessite peu. Cela implique alors de repenser toute la filière, en amont et en aval : collecte, conservation, distribution…

Finalement, avant de parler chiffres, faut-il parler organisation ?

La nécessité première est d'avoir les moyens de bien intégrer le sujet. Il faut que les questions soient posées au bon moment et aux bons experts. Si l'on veut éviter de se retrouver avec des projets absurdes, le plus important, ce sont les millions qui seront d'abord engagés pour prévoir les milliards qu'il faudra ensuite dépenser.

Les économies dans les finances publiques sont indispensables. Comment envisager une adaptation qui se mesure en dizaines de milliards ?

L'une des grandes difficultés, c'est d'essayer de comprendre la répartition des coûts. Anticiper permet le plus souvent une charge pour les finances publiques moins élevée que lorsqu'il faut réagir aux événements. Le coût des travaux d'anticipation se répartit alors sur plusieurs acteurs, quand les budgets publics sont les premiers sollicités dans l'urgence après une catastrophe. Avant d'aligner des colonnes de chiffres, faisons déjà en sorte de nous poser les bonnes questions au bon moment. ■

¹ Volet thématique « Dommages et adaptation » du rapport « Les incidences économiques de l'action pour le climat » (dit Pisani-Ferry-Mahfouz) de France Stratégie.

« Nous sommes démunis pour évaluer les surcoûts des transports »

« Engager des millions en études pour prévoir les milliards à dépenser »