Vous dites que le sol est la plus belle chose au monde, pourquoi ?

Le sol est une extraordinaire efflorescence de vie. Ce sont des champignons – pas seulement ceux que l'on voit à l'œil nu – puis, dix fois plus petites, des bactéries. Ce sont encore des amibes, dont le blob est peut-être la plus célèbre, des racines de plantes, et enfin des animaux auxquels tout le monde pense puisqu'ils sont un peu plus gros, tel le vers de terre. Il faut bien comprendre que 25 % des espèces animales terrestres vivent dans le sol ; il est une gigantesque usine à fabriquer de la fertilité. C'est tout simplement le placenta de l'humanité. Nous vivons en périphérie de ce qui est le cœur de l'écosystème terrestre : le sol. Sa profondeur est très variable. Dans nos régions, il mesure entre un et deux mètres, parfois cinq. Dans les zones tropicales, il peut atteindre une centaine de mètres.

Peut-on chiffrer cette richesse ?

Dans un hectare en pleine nature, on trouve 5 tonnes de microbes (dont 1,5 tonne de champignons), 5 tonnes de racines et 1,5 tonne d'animaux. Ce sont bien sûr des ordres de grandeur, mais toute cette formidable biodiversité fait la richesse d'un sol. En bon état, il décompose et fait disparaître les débris, stocke du carbone, empêche l'érosion, filtre l'eau, protège les plantes et offre la fertilité indispensable pour les cultures qui nous nourrissent. En mauvais état, les espèces ne disparaissent pas totalement des sols agricoles. Mais les sols moribonds ne jouent plus leur rôle. Un composant essentiel a été remplacé par les engrais minéraux : le fumier. De la pure matière organique (restes des végétaux et des microbes morts) qui a chuté de 50 % depuis 1950.

Pourquoi une telle chute ?

Le labour est un problème majeur. En retournant la terre, on a détruit tout cet écosystème caché. Les effets sur la productivité sont masqués jusqu'à un certain point par les engrais et les pesticides. Autre responsable : l'artificialisation. La France bétonnise l'équivalent de cinq terrains de football par heure ! Ces sols perdent la totalité de leurs fonctions, y compris le stockage du carbone, ce qui est regrettable à l'heure du changement climatique.

Peut-on renverser la tendance ?

Il faut changer de pratiques. Il ne s'agit pas d'accabler les agriculteurs mais de les aider à se passer du labour, grâce à l'agriculture de conservation, en maintenant une couverture permanente du sol. Aujourd'hui, cette pratique représente 4 % de la surface agricole. Mais elle conduit aussi, entre deux cultures, à l'utilisation d'herbicides tels que le glyphosate, ce qui n'est pas idéal. L'autre perspective, c'est le bio (10,4 % de la surface agricole). Il apporte des engrais sous la forme de matière organique, excellente pour les sols. Mais sans herbicides… il faut labourer pour désherber. Malgré tout, ces deux solutions sont bien plus durables que l'agriculture conventionnelle avec engrais chimiques, labour et pesticides. Il est impératif d'investir dans la recherche pour les améliorer.

Et nous, que pouvons-nous faire ?

Nos achats sont le moteur d'une agriculture saine. Ces derniers mois, en délaissant le bio, les citoyens ont envoyé un mauvais signal, encourageant le statu quo de l'agriculture conventionnelle. Il faut également intervenir du côté de l'enseignement : on ne fera pas d'écologie sans des citoyens et des agriculteurs bien formés. Pendant le peu d'heures de SVT (ndlr, sciences de la vie et de la Terre), il n'y a quasiment rien sur les sols. Ça ne va pas, car prendre en compte l'écologie, c'est savoir retrouver et maintenir la qualité des sols. ■

Marc-André Selosse est l'auteur de l'ouvrage de référence L'Origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l'intention de ceux qui le piétinent (Actes Sud, 2021). Il a également collaboré à la BD de Mathieu Burniat Sous terre (Dargaud, 2021).